jeudi 16 juillet 2009

LE LANGAGE OUBLIE -2004



Pochette du CD « Le langage oublié ». Les paroles transcrites ci-dessous sont celles que chantent Manset, non pas celles (parfois erronées) qui sont reproduites dans le livret qui accompagne le CD.

Demain il fera nuit
Quand on perd un ami
Le coureur arrêté
A un jet de pierre
Mensonge aux foules
Le langage oublié
Que ne fus-tu
La fin du dernier monde connu
A quoi sert ?
Dans les jardins du XXIème siècle

On l’avait perdu de vue depuis 1998, mais pas d’oreille, signant dans l’intervalle des textes pour Juliette Gréco, Jane Birkin, et même Raphaël, son pénible collègue de label, ou Indochine, alors en quête de réhabilitation critique. Pour autant, nulle trace de changement langagier et thématique chez le presque sexagénaire, auteur de ce dix-septième album survenant en amont d’une actualité française tellement embouteillée qu’on craint l’effet de cannibalisation pour les principaux intéressés (Miossec, Manset, donc, et son fils spirituel Murat, à la seule lettre M de l’alphabet hexagonal).
Avec « Le langage oublié », Manset cultive son personnage de voyageur solitaire et misanthrope, pronostiquant un futur irréversible (« Demain il fera nuit »), arpentant la ville hostile (« Dans les jardins du XXIe Siècle »), ressassant sa tristesse infinie (« Quand on perd un ami ») ou son aquoibonisme légendaire (« À quoi sert ? »), tout en étirant ses chansons comme un jour sans pain (« Le coureur arrêté », « Le langage oublié »). « De même qu’on ne peut plus lire un bouquin de plus de trois pages, on ne pourra bientôt plus écouter un morceau de plus de deux minutes trente », regrettait-il récemment dans les colonnes de Libération.
Une déclaration qui trouve son écho dans le cinquième titre du disque aux accents reggae « Mensonge aux foules » : « Ce monde est celui de la dérision / On substitue le mal au bien / Sur les écrans la haine a le goût du pain / Les rejetés sont légion ». Hors des canons de la société du spectacle depuis 1968 et l’inaugural « Animal, on est mal », Manset reste encore et toujours une énigme. Sa voix marmoréenne, sa stature de commandeur, son catastrophisme clairvoyant (« La fin du dernier monde connu », splendide) et ses absences prolongées ne font qu’amplifier le plaisir incongru de ses retours aléatoires.

Franck Vergeade, Magic, n°79, avril 2004


S'il y a bien une chose que Gérard MANSET nous aura appris, c'est la patience : toutes ces années d'attente depuis son dernier album « Jadis et naguère », puis son « Best of » (comprenant l'inédit « Artificiers du décadent » et quelques versions remixées). Aujourd'hui enfin, nous sommes récompensés avec ce nouveau CD « Le langage oublié ». Il aura fallu à Manet trois années d'enregistrement dans trois studios différents, pour voir apparaître son 17e album, comprenant dix chansons.
C'est un beau cadeau, mais quelle frustration quand nous savons que Manset a suffisamment de titres dans ses tiroirs pour sortir au moins trois albums supplémentaires. Ces six années d'absence depuis « Jadis et naguère » ne signifient pas qu'il soit resté inactif. Au contraire, il a mené plusieurs projets (musicaux et autres), dont un album mis de côté, « Journées ensoleillées », accompagné d'un livre de 480 pages contenant des récits de voyages et des photos, à paraître chez Flammarion. De cet album enfoui, deux titres ont été intégrés dans « Le langage oublié » : « La Fin du dernier monde connu » et « Dans les jardins du XXIe siècle ».

La musique de Manset a la particularité d'être rassurante, de procurer un sentiment indescriptible, comme si le temps s'était arrêté. Les années passent, les styles musicaux se succèdent comme les saisons, sans pour autant altérer l'univers Manset. « Le langage oublié » continue là où « Orion » et « Revivre » s'étaient arrêtés. Nous naviguons à travers des pièces à la sonorité rock-prog, symphonique ou classique. Cette dualité entre modernisme et classicisme dans les arrangements est une tradition dans son oeuvre (« Demain il fera nuit », « Quand on perd un ami »… caractérisées par de somptueuses envolées de cordes (dirigées par Hervé Roy)…

« Le langage oublié » (faisant allusion au langage courtois) aborde les thèmes chers à Manset : la nostalgie du passé, «la chute d'un monde perdu», «la misère d'un monde malade»… Ce sentiment de perte («C’est ce que l'Humanité a perdu avec la Grèce antique") n'enlève cependant pas l'espoir de trouver un jour un Eden théorique. C'est le message de la très belle pochette reproduisant un tableau de Magritte (Mesdemoiselles de L'Isle Adam - 1942). Cette représentation d'un Eden idyllique se veut être apaisante et douce face à la gravité de cet album…

Cédrick Pesque


"On marche de travers comme un crabe, et la mer descend". Je ne sais pas si cette phrase éclaire la vie de Manset, mais je crois qu'elle éclaire son oeuvre. C'est pourquoi il n'est pas possible d'y trouver une logique. Pas de fil conducteur, peut-être des périodes, surtout des retours, des avancées, des arrêts, des essais, des variations, beaucoup de variations...

« Le langage oublié » apparaît comme un contrepoint à l'album précédent. C'est un patchwork de morceaux regroupant les divers styles de Manset, avec une avancée vers d'autres nouveaux (« Mensonges aux foules », « Que ne fus-tu »). Ici point d'unité, pas de véritable cohérence, hormis la fréquente nostalgie du passé, mais ce n'est plus l'objet du discours. Il me semble que l'enchaînement des morceaux a été très soigné. Celui de "langage oublié" juste derrière "mensonges..." est particulièrement grandiose.

Il a été longuement discuté ici de la verbosité de cet album. Je trouve qu'elle est indéniable, l'épure du génial « Vases bleues » peut paraître lointaine, oui... Mais comme d'autres l'ont souligné, cette verbosité n'est pas vraiment nouvelle. D'ailleurs, réfléchissez, quel autre album album de Manset est un patchwork verbeux ? Cherchez bien, cherchez loin, oui... l'album « 1968 ».

Ne vous y trompez pas, ne croyez pas Manset lui-même, le langage dont il parle n'est pas oublié, il l'a été, il ne l'est plus. Le seul fait de se rendre compte qu'il a été oublié est déjà une façon de le retrouver. Ce langage, Manset l'a longtemps rejeté, il osait même dire qu'il n'était pas « chanteur », tout juste ne rejetait-il pas qu'il était « auteur compositeur ». Car oui, ce langage oublié et retrouvé est celui de la chanson…

Cet album est comme un achèvement de la communion entre ses mots et ses sons. N'avez-vous pas remarqué comme le mariage des deux y est constant et d'une qualité extraordinaire ? J'ai toujours considéré que c'était la spécificité marquante du style Manset, et il la met ici en exergue. Certains considèrent chaque élément séparément. Ils pensent que pour les paroles il y a eu mieux et que la musique est altérée par la présence constante des paroles. C'est sûrement vrai, mais, comme considérer séparément le dessin et le texte d'une BD, cette dissociation n'a pas lieu d'être dans un album de chansons. Son écoute me fascine d'abord par la richesse du jeu continuel entre paroles et musique, d'autant plus qu'il y a la troisième dimension de la voix, celle toujours aussi belle de Manset...

Alain Beyrand, Le langage retrouvé, Message publié le 4 mars 2004, forum Manset Revivre


Demain il fera nuit

Demain il fera nuit
Je lui lu dans un livre
Et les enfants iront
De porte en porte
De ville en ville
Et les rats s’enfuiront
De porte en porte
De ville en ville

Demain il fera nuit
Et les enfants
Et les enfants iront
De porte en porte
De ville en ville
Et les rats s’enfuiront
De porte en porte
De ville en ville
Et toi que j’ai connue là-bas
Près d’un long bâtiment de bois
Aux yeux si noirs
Aux dents d’ivoire
Au sourire si fragile
Aux longs membres plus fins qu’un fil
Aux longs membres plus fins qu’un doigt
Aux doux sourire qui brûle
Aux lèvres
Aux doux sourire qui brûle
Aux lèvres qu’on boit
Comme une idole
Comme une icône
Une divinité
Des îles lointaines
Des îles

Comme une idole
Comme une icône
Une divinité
Des îles lointaines
Des îles

Demain, il fera nuit
Je l’ai lu dans un livre

Et peut-être qu’après
Alors un jour quand même
Il fera jour pour toujours
Et que ce soleil-là sera
Le feu d’un incendie
Au milieu défendu
Que les enfants iront
En demandant pourquoi
Prolonger un peu plus
Ce besoin de vivre
Ce besoin de vivre
Alors on leur dira de suivre
La ligne des maisons en feu
De se faire une raison
De se faire une raison

Demain il fera nuit
Je l’ai lu dans un livre
Et toi que j’ai connue là-bas
Au pied d’un bâtiment de bois
Aux yeux si noirs
Aux dents d’ivoire
Au sourire si fragile
Comme une icône
Comme une idole
Une divinité
Des îles lointaines
Des îles

Demain il fera nuit
Je l’ai lu dans un livre

Douleur lointaine
En rêve, en rêve
Réveille-toi
Dépêche-toi
Le volcan se soulève
En rêve, en rêve
Et crache tout ce qu’il a de feu
De lave qui coulera vers toi
De fièvres et de fièvres
Comme l’Etna
Comme l’Etna
A recouvert de cendres
A gelé dans la pierre
Le monde d’Alexandre
Et celui-là te recouvrira
De Surabaya
Va recouvrir ton univers
De plantes et de plantes
De bleus et de verts
De cendres et de cendres
De courbes et d’ellipses bientôt
Par l’apocalypse
Car demain il fera nuit
Je l’ai lu dans un livre
Mais toi
Aux longs membres plus fins qu’un doigt
Aux longs membres plus fins qu’un fil
Au doux sourire fragile
Au long baiser qui brûle
Aux lèvres
Au long baiser qui brûle
Aux lèvres

Quand on perd un ami

Quand on perd un ami
C’est peut-être qu’il dort
Dans un autre univers
De gel et de bois mort
Dans un autre décor
Simplement affaibli

Quand on perd un ami
Son âme se décolle
Comme un papier jauni
Papyrus d’école
C’est que l’on a grandi

Quand on perd un ami
Comme dans un tamis
Après que le cambiste
Ait déserté la salle
Ait déserté la salle

Dans le jour indolore
Et dans l’air inodore
Repose sur le pourpre
Entouré des siens
Et pas même un chien
Pour lécher sa paume
Son bras recourbé

Quand un ami s’en va
Disparaît de son lit
Par de nouveaux sherpas
Pour de nouveaux pays

Quand on perd un ami
De la lumière subsiste
Comme dans un tamis
Après que le cambiste
Ait déserté la salle

Peut-être ce n’est pas
Ce qu’on nous en a dit
Si là-bas il fait froid
Comme il le fait ici

Quand on perd un ami
Qui nous découvrira
Fakir embaumé
Transpercé de pointes
Et lorsque le jour pointe
Pas même un drap
Pour cacher ses yeux
Quand un ami s’en va

Quand on perd un ami
De la lumière subsiste
Comme dans un tamis

Le coureur arrêté

Salle des pas perdus
Salle des pas trouvés
Et des mégots déchus
Aux anges révoltés
Sur des banquettes creuses
Aux siéges arrachés
Dans une gare obscure
Cathédrale rieuse

Cathédrale rieuse
Comme une fleur exquise
Sur sa tige dressée
Dans l’urine des chiens
Lorsque les papiers volent
Que le marcheur se souvient
Qu’il a souvent marché
Et qu’il ne marche plus
Et le voilà courbé

C’est un musée de cire
Où s’ébranlent les trains
On dit que ce coeur bat
Que ce poumon respire
Mais
Quand se grattent les fées
Et se mouchent les princes
Dans l’avenant zéphyr
Qui vient par les travées
De ce nouvel empire
Ouvert la nuit, le jour
Sous les lampes amies
Et le marbre toujours

Lorsque le coureur tombe
Il est midi peut-être
Et la foule des quais
Grimace sous la pluie
Sans lui parler jamais
Sans le panser non plus
Quand sa nuque craquait
Comme une lame bleue
Comme un pot de miel
Qui le pénétrerait

On dit
On dit que ce cœur bat
Que ce poumon respire
Mais ce qu’on ne dit pas
C’est pour combien de peu

Alors il se rhabille
Ou bien on le ramasse
Dans ce musée de cire
Un visage prend place
Qui fut lui autrefois
Se penche et puis l’embrasse
Mais comme on ne meurt pas
Dans la continuité
D’éternelles caresses
Le coureur se dilue
Et puis bientôt se dresse
Tandis que tout s’éteint
Tandis que tout s’éteint

Salle des pas perdus
Salle des pas trouvés
Et des mégots déchus
Aux anges révoltés
Sur des banquettes creuses
Aux sièges arrachés
A demi renversés
Dans une gare obscure

Cathédrale rieuse
Comme une fleur exquise
Sur sa tige dressée
Dans l’urine des chiens
Lorsque les papiers volent
Le marcheur se souvient
Qu’il a souvent marché
Et qu’il ne marche plus
Et le voilà courbé
Dans l’immobilité

C’est un musée de rire
Où s’ébranlent les trains
On dit que ce coeur bat

Lorsque le coureur dort
Dans son geste arrêté
Il est midi dehors
Il est midi toujours
On dit que c’est la ville
Et le balayeur passe
Qui va de place en place
Jaune phosphorescent
Dans la graisse et le sang
Dans l’essence et la crasse
La poussière et le vent
Et le balayeur passe
Jaune phosphorescent

Et le balayeur passe
On dit que c’est la ville
Et ses bennes bruyantes
Et le balayeur chante

Et le balayeur passe
Qui va de place en place
Jaune phosphorescent
Dans l’essence et la crasse
La poussière et le sang
Et le balayeur passe
Jaune phosphorescent

Et le balayeur passe
On dit que c’est la ville
Et ses bennes bruyantes
Et le balayeur chante


A un jet de pierre

À un jet de pierre
Le bonheur est passé
Se tenant les paupières
Comme un grand blessé
Qui craindrait la lumière
De ses vies passées
Ses campagnes guerrières
Dans une eau glacée
Où le sage se trempe
Comme une épée trempée
Car qui de nous jamais
Ne s’est trompé

À un jet de pierre
Le bonheur est passé
Dans son habit de nuit
De velours damassé
Aux clochettes d’argent
De liserons, de lierre
Dont chacune est le sang
Dont chacune est la chair
De ceux qu’il a bénis
Protégés de tout
Car qui de nous ne fut
Jamais à sa merci
Jamais à sa merci
Sa merci
Fut à sa merci

À un jet de pierre
Le bonheur est passé
S’est penché vers le sol
Vers la terre tassée
A planté une fleur
Comme un girasol
De sa main sans couleur
De sa main gantée
Voilà comme il se donne
Voilà comme il aime
Mais qui de nous jamais
N’a fait de même

À un jet de pierre
Le bonheur est passé
Nul ne l’a suivi
Ni n’a ramassé
Ce qu’il avait écrit
Ce qu’il avait laissé
Quelque chose de gris
Deux lettres enlacées
Comme deux initiales
Peut-être d’une autre
Probablement peut-être
Un peu les nôtres
Un peu les nôtres
Les nôtres
Les nôtres

Dans un coin du bar
Le bonheur est assis
Sorte de vieillard
Comme n’importe qui
Qui ne dit pas merci
Pour tout ce qu’il a bu
Tout qu’il a pris
Et qu’il n’a pas rendu
Dans le jour qui se lève
Dans la nuit qui fut
Qui de nous jamais
Heureux ne fut
Heureux ne fut
Jamais heureux ne fut
Jamais heureux ne fut

Heureux ne fut
Jamais heureux ne fut
Jamais heureux

Mensonges aux foules

Aimés, aimés
Aimés, aimés

Ce monde est celui de la dérision
On substitue le mal au bien
Sur les écrans la haine a le goût du pain
Les rejetés sont légions

Et plutôt que de chercher l’absolution
Dans l’amour, l’évangile, la compassion
On préfère laisser le sol en friches
Dirigeants qui pillent, dirigeants qui trichent

Mensonge aux foules assagies
Sur l’assiette au beurre le temps s’enfuit
Comme brûle la flamme d’une bougie
Mensonge aux foules, démagogie

On voudrait refaire le monde
On voudrait la puissance d’une bombe
Que tous ceux qui nous parlent de lendemains
Se méfient de nos rires assassins

Mensonge aux foules assagies
Dans une gigantesque hémorragie
Dans laquelle plus personne ne réagit
Bel opium du peuple devenu simple tabagie

Quand nous aurons tout pris, tout vaincu
Que les poètes entre tous seront connus
Et l’homme libre enfin de tout chantage
Découvrant l’amour comme le seul visage

Alors nous serons tristes et peut-être inquiets
De ce que nous redoutions en secret
Que différents de nos aînés, nous ne sommes pas
Et nous dirons peut-être pourquoi pas

Mensonge aux foules assagies
Puisque c’est de trahison qu’il s’agit
Nous serons tous alors peut-être, par magie
Aimés, aimés
Aimés, aimés
Aimés, aimés

Le langage oublié

Un jour le soleil passe
Le soleil est passé
Et puis l’ombre s’installe
Grandit de tous côtés
Rose
Dont les pétales
Ont jailli un matin
Ont jailli un été
Se souviennent et se taisent
Et gardent ce venin
En eux, profondément

Qui saurait lire encore cette langue oubliée
Dont l’encre même a l’air d’avoir fondu
D’avoir rongé le centre du cahier
Qu’elle avait laissé là un jour lointain

Il s’est levé ce malade inconnu
Et le voilà parti par son chemin
Sans avoir ni touché à rien, ni même bu
Il s’est levé sans avoir répondu

Ce langage oublié quelqu’un le saurait-il
Qui rendait parait-il heureux le genre humain
Aujourd’hui c’est hier, hier c’était demain
Il suffit de s’asseoir et de guetter
Il suffit de s’asseoir

Qui parle encore cette langue oubliée
Par laquelle nous nous étions connus
Dont il ne reste, en partie dépecés
Qu’un songe, qu’une illusion, qu’un rêve

Le malade se tait, ne répond pas
De sa bouche aujourd’hui toute édentée
A-t-elle connu quelques jolis baisers
Comme une eau pure, comme une coupe fraîche
Comme un murmure

Qui parle encore ce langage inconnu
Par lequel nous nous étions trouvés
Et découverts ensemble
Comme une eau pure, comme une coupe fraîche,
Comme un murmure

Aujourd’hui c’est hier, hier c’était demain
L’homme et la femme allaient main dans la main
Le malade se tait, ne répond pas
L’homme et la femme allaient
Au même pas
Au même pas

Qui parle encore cette langue finie
Ni ailleurs ni là-bas, pas plus ici
Pas plus vers les confins que tout en bas
Ni langage ni rien, pas plus de forme
Etait-il de Sumer ou bien cunéiforme
Ce langage
Ce langage

Qui dit qu’un coeur dans un vase fermé
Comme une fleur pourra se ressaisir
Avec un peu de pluie ou d’eau, ou de plaisir
Avec un peu de temps, d’éternité

Ce langage oublié quelqu’un le saurait-il
Aujourd’hui c’est hier, hier c’était demain
L’homme et la femme allaient
L’homme et la femme allaient par le même chemin
Où nous seront nous-même
Un jour
De nouveau

Que ne fus-tu

Que ne fus-tu une autre mère
Que ne fus-tu un songe
Que ne fus-tu une autre mère
Que ne fus-tu un songe
Dans ce passé amer
Où mes racines plongent

Que ne fus-tu une autre mère
Que ne fus-tu un songe
Près de cette rivière où je m’allonge

Que ne fus-tu une autre
Une autre, une autre
Que ne fus-tu
Car tout commence
En ce temps sans défense
Que ne fus-tu,
Que ne fus-tu
Que ne fus-tu

Les coups l’hiver la faim,
Mais non rien de cela ne fut
Rien de cela
On te méprise et l’on te craint
Attend, ou bien recommence
Au lien de ça tout fut doré
Comme une miche au four
Comme un pain du matin
Et décoré
De frise, de sucre glace autour
De petits napperons brodés
Mais que ne fus-tu une autre
Front bas et front têtu

Que ne fus-tu une autre mère
Que ne fus-tu un songe
Dans ce passé amer
Où mes racines plongent

Que ne fus-tu une autre mère
Que ne fut-tu un songe
Près de cette rivière où je m’allonge

Au bord du pré l’agneau qui parlerait
Ou bien retournerait à l’ombre
Enfiler ses habits
Redevenu silencieux
De ce pré aujourd’hui déteint

La fin du dernier monde connu

On voit la fin du dernier monde connu
La fin du dernier monde qu’on eut
La fin du dernier monde possible
L’honnête homme devient la cible
Le bandit s’en va satisfait
Et nul ne sait ce qu’il a fait
On voit la fin du dernier monde visible
La fin du dernier monde humain
La fin de ce qui fut paisible
La fin du dernier monde latin

Famille amie sur qui je pleure
Avec mes yeux d’enfant nourri
Qui a vu rivières et pays
Aimons-nous, ma mie, s’il est temps
Tandis que du bord de l’étang
On voit la fin
On voit la fin des derniers temps
Tandis que du bord de l’étang
On voit la fin des derniers
On voit la fin des derniers temps

Ce monde on le portait
Ce monde on le portait en nous
Et le voilà qui se défait
Et le voilà qui se dénoue
Revenu de tous les courroux
De toutes les guerres, de tous les coups
De tous les marbres et les satins
Aimons-nous, ma mie, ce matin
Par delà le miroir
Par delà le miroir

On voit la fin du dernier monde aimé
On en serait presque étonné
Dans la mêlée le bruit des larmes
La cacophonie, le vacarme

Aimons-nous, ma mie
Aimons-nous, ma mie, s’il est temps
Tandis que du bord de l’étang
On voit la fin des derniers
On voit la fin des derniers temps
Tandis que du bord de l’étang
On voit la fin des derniers
On voit la fin des derniers temps

On voit la fin du dernier monde connu
La fin du dernier monde qu’on eut
La fin du dernier monde possible
La fin du dernier monde vivant
La fin du dernier monde d’avant
A quoi sert?

À quoi sert de pleurer
Sur ce qui n’est plus
Sandales dorées
Lèvres qui se sont tues
A quoi sert de pleurer
Sur ce qui n’est plus
Boucles adorées
Sucre fondu
A quoi sert de pleurer
Sur ce qui n’est plus
Fontaines asséchées
Falaises redevenues

Toi, le tout petit enfant qui voit dans la maison
Passer les poussières, danser sans en chercher la raison
Qu’ils étaient beaux les meubles toujours blonds

À quoi sert de courir
Sur ce qui s’est enfui
Dans le fond de la mer
Tout au bout de la nuit
A quoi sert de courir
Sur ce qui n’est plus
Une gorge un rire
Qu’il aurait fallu
Attacher, ou pire
Noyer dans de la glu
Une forme de cire

Toi le tout petit enfant qui voit dans la maison
Passer les poussières, danser sans en chercher la raison
Qu’ils étaient beaux les meubles toujours blonds
Dans le vestibule
L’immense pendule
Dans ce salon

A quoi sert de courir
Sur ce qui n’est plus
Qui ne vit ni ne respire
Qui ne chante plus
A quoi sert de courir
Sur ce qui n’est plus
Le reste peut venir
Le reste peut venir

Dans les jardins du XXIème siècle

Dans les jardins de XXIème siècle
Où les enfants clonés jouent sous les arbres
Le chagrin, la gaieté, ont la couleur du marbre
Et rien n’est plus de ce qui fut aimé
Et rien n’est plus de ce qui fut aimé
Souvenez-vous de ces longues gorgées
De cette eau pure le ciel était gorgé

Dans les jardins du XXIème siècle
Où les enfants clonés jouent en rêvant
A ce que furent la chair, les larmes et le sang
Quand rien n’est plus ce qu’il était avant
Quand rien n’est plus ce qu’il était avant

Souvenez-vous de ces chansons anciennes
Ne reste plus que le filet de vent
Qui fait tourner là-bas les éoliennes
Dont les longs doigts s’étendent sur la plaine
Souviens-toi que je t’aime
Rappelle-toi les mots
Je sais qu’il faut se détourner de toute chose humaine

Dans ce jardin maudit
Où les enfants mauvais jouent sous les branches
Souvenez-vous que la folie les guette
Dans ces massifs aux lustres éclatants

En ce jardin maudit du XXIème siècle
Où les enfants mauvais jouent sous les branches
A quelques faux moineaux jetant de fausses miettes
Cependant qu’on leur dit que c’est dimanche
Cependant qu’on leur dit que c’est dimanche

Souvenez-vous que la folie les guette
Dans ces massifs aux lustres éclatants
Dans ces jardins et leurs gazons mutants
Et nous peut-être un jour, les imitant
Les imitant

Souvenez-vous que la folie les guette
Dans ces massifs aux lustres éclatants
Dans ces jardins et leurs gazons mutants
Et nous peut-être un jour, les imitant
Les imitant
Les imitant

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