jeudi 16 juillet 2009

Un jour*



Pochette du 45 tours sorti en février 1969. « Le père » et « Un jour » ne sont sorties ni en 33 tours ni en CD.

Un jour
Tout autour du front de son visage
Venu du fond des ages
De ses longs doigts
De ses cheveux blonds
Sans rides ni raison
Comme le cycle des saisons

J’entends déjà son rire
Etonnez-vous
J’entends déjà son rire
J’entends déjà son rire

Un jour
Le long de son dos de ses épaules
Comme pleuvent le saule
De ses longs frissons
De ses yeux sans fonds
Sans rides ni raison
Comme le cycle des saisons

J’entends déjà son rire
Etonnez-vous
J’entends déjà son rire
J’entends déjà son rire

J’entends déjà son rire

Le père*



Pochette du 45 tours sorti en février 1969. « Le père » et « Un jour » ne sont sorties ni en 33 tours ni en CD.

Le père
Se désespère
Il a raison
Le fils est en prison

La mère
N’a rien à faire
A la maison
Qu’à perdre la raison

Il n’aurait pas du parler pendant les repas
Le père hausse le ton, le fils n’entend pas
Et chacun d’entre nous en aurait fait autant
Ce n’est pas la raison qui fait qu’il l’aimait tant

Et pour une fois que le fils avait des raisons de désobéir
Il avait la façon de l’aimer sans sourire
Il est venu s’asseoir au banc des accusés
Le jury délibère, il a quitté la salle
On le libère

Le père
Se désespère
Il croit encore
Son fils a demi mort

Le mère
N’a rien à faire
Qu’à regarder
Son fils, à la garder

Il avait bien raison de ne penser qu’à lui
Chaque jour se ressemble et le lendemain suit
C’est pour ça que sa mère de sa main essuie
Le mauvais sang qu’il a laissé sur le tapis

Il n’aurait jamais du se battre dans la ville
Et lorsque les voisins qui l’avaient reconnu
Lui on dit d’où viens-tu ?
Il n’aurait jamais du laisser le gaz ouvert
C’est peut-être qu’il n’était pas assez couvert
Pense la mère

Et le père
Lui se désespère
Il a raison
Le fils est en prison

Le père
Se désespère
Il a raison
Car comment faire

Vu que le fils
Le fils
Le fils
Ressemble au père

Pour le fils
Le fils
Le fils
Ressemble au père

Oui
Pour que le fils
Le fils

MANITOBA NE REPOND PLUS - 2008


Pochette du CD « Manitoba ne répond plus ». Les paroles ci-dessous sont les paroles telles que les chante Manset et non pas les paroles retranscrites (parfois avec des erreurs) dans le livret qui accompagne le CD.

CD 1

Comme un Lego
Dans un jardin que je sais
Le pays de la liberté
Aux fontaines j'ai bu
Quand une femme
Genre humain
Voulez-vous savoir
Amazonie
Le pavillon de Buzenval
Dans mon berceau j'entends

CD 2 – Instrumentaux

Vahiné ma sœur
Quand on perd un ami
Demain il fera nuit
A quoi sert
Pays de la liberté


Comme un Lego

C’est un grand terrain de nulle part
Avec de belles poignées d’argent
La lunette d’un microscope
Et tous ces petits êtres qui courent
Car chacun vaque à son destin
Petits ou grands
Comme durant les siècles égyptiens
Péniblement
Porter mille fois son poids sur lui
Sous la chaleur et dans le vent
Dans le soleil ou dans la nuit
Voyez-vous ces êtres vivants
Voyez-vous ces êtres vivants
Voyez-vous ces êtres vivants

Quelqu’un a inventé ce jeu
Terrible, cruel, captivant
Les maisons, les lacs, les continents
Comme un Lego avec du vent
La faiblesse des tout-puissants
Comme un Lego avec du sang
Force décuplée des perdants
Comme un Lego avec des dents
Comme un Lego avec des mains
Comme un Lego

Voyez-vous tous ces humains
Danser ensemble à se donner la main
S‘embrasser dans le noir à cheveux blonds
À ne pas voir demain comme ils seront
Les capitales sont toutes les mêmes devenues
Facettes d’un même miroir
Vêtues d’acier, vêtues de noir
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego

Facettes d’un même miroir
Vêtues d’acier, vêtues de noir
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego

Pourquoi ne me réponds-tu jamais
De ta retraite sous ton arbre
Depuis ce manguier de plus de dix mille pages
A te balancer seul dans une cage
A voir le monde de si haut
Comme un insecte mais sur le dos
Comme un insecte mais sur le dos
Comme un insecte

C’est un grand terrain de nulle part
A la lunette d’un microscope
On regarde, on regarde, on regarde dedans
On voit de toutes petites choses qui luisent
Ce sont des gens dans des chemises
Comme durant les siècles de la longue nuit
Dans le silence ou dans le bruit
Dans le silence ou dans le bruit
Dans le silence

Dans un jardin que je sais

Dans un jardin que je sais
Comme une ombre venait
De longs cheveux sur elle
Et moi je me disais mon dieu
Que je revive

Une fois elle a choisi
Dans le creux de sa main
Quelque chose comme un fruit
Quelque chose comme un fruit
Et moi je me suis dit
Mon dieu que je revive
Que je sois cette mûre
Cette simple cerise
Accrochée contre un mur
Et qu’elle me voit
Par sa paume attrapée
Je resterai sans voix
Par sa lèvre touchée

Nous nous sommes retrouvés
Dans le mitan du lit
C’est ce que j’avais rêvé
Dans les contes et légendes
Alors je me suis dit
Mon dieu qu’elle m’entende
Que je sois cette ramure
Cette simple cerise
Accrochée contre un mur
Et qu’elle me voit
Par sa paume attrapée
Je resterai sans voix
Par sa lèvre mordue

Mais ce jardin, c’est ma rue
Près de chez moi
Peut-être m’avez-vous vu
Me tourner vers quelque chose
Mon dieu me dire
Si je pouvais la suivre
Etre ce buisson de roses
Vers lequel elle se tourne
Où son regard se pose
Et dont elle se détourne
Pour autre chose
Et dont elle se détourne
Pour autre chose

Etre ce buisson de roses
Etre ce buisson


Le pays de la liberté

On m’a dit que c’est tout à côté
Le pays de quoi
De la liberté
Le pays

J’ai vu des hommes décharnés
J’ai vu des femmes
Des enfants aux cheveux orangés
J’ai vu des larmes
J’ai marché, j’ai marché, j’ai marché
Mais je n’ai pas trouvé
J’ai marché, j’ai marché, j’ai marché
Mais je n’ai pas trouvé

On passe tout à côté de la vie
A grands coups de pinceau
On passe tout à côté de la vie
On passe tout à côté

J’ai marché, j’ai marché, j’ai marché, j’ai marché
J’ai marché, j’ai marché, j’ai marché, j’ai marché
J’ai marché, j’ai marché, j’ai marché, j’ai marché
J’ai marché

On voit des mains, des bras tendus
On croit que c’est des mats
Où claquent toutes les guenilles
Où claquent toutes les guenilles

J’ai croisé des hommes décharnés
Des enfants couverts de bleus
Qui perdaient leurs dents
Perdaient leurs cheveux
Qui perdaient leurs dents
Perdaient leurs cheveux
Mais j’ai bien vu dans leurs yeux

Mais c’est où mais c’est où mais c’est où mais c’est où
Mais c’est où mais c’est où
Mais c’est où mais c’est où mais c’est où mais c’est où
Mais c’est où mais c’est où mais c’est où mais ce pays
Mais c’est où, mais c’est où, mais c’est où

On m’a dit que c’est tout à côté
Le pays de quoi
De la liberté
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché
Il parait qu’il me pendait au nez
Mensonge, mensonge, mensonge, mensonge
Il parait qu’il me pendait au nez
Mensonge

On voit des hommes décharnés
Tendre la main à qui
Avec une plaie sur le côté
Où l’on boit, où l’on boit, où l’on boit
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
On voit des hommes décharnés
Tendre la main à qui
Certains disent même que c’est tout près
Qu’on marche parfois dessus

Mais c’est où, mais c’est où, mais c’est où
Mais c’est où, mais c’est où
Mais c’est où, mais c’est où, mais c’est où
Mais c’est où, mais c’est où, mais c’est où
Mais c’est où ce pays
Mais c’est où, mais c’est où, mais c’est où

On m’a dit que c’est tout à côté
Le pays de quoi
De la liberté
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
Mensonge, mensonge, mensonge, mensonge
Mensonge, mensonge, mensonge

Aux fontaines j'ai bu

Maintenant j'irai voir
Aux fontaines j'ai bu
Flaques roses ou noires
Etrange Malibu

Maintenant j'irai prendre
Du bout des lèvres
Sorte de scolopendre
Qui vous donne la fièvre
Qui vous donne la fièvre
Qui vous donne la fièvre

Maintenant je m'ennuie
Aux fontaines j'ai pu
Boire jusqu'à la lie
A bride rabattue

Mais le jour est venu
Maintenant je m'enfuis
Aux fontaines j'ai bu
Comme pâte de fruit
Comme pâte de fruit

Maintenant j'irai voir
Je ne toucherai plus
Aux fontaines j'ai bu
Aux fontaines j'ai bu

Aux fontaines j'ai bu
Aux fontaines j'ai bu
Aux fontaines j'ai bu
Aux fontaines j'ai bu

Quand une femme

Quand une femme
Se lève le matin
Fait chauffer de l’eau
Regarde ses mains
Sort sur le devant
De son bungalow
Peut-être alors elle se souvient
Des choses inconnues
Qu’elles avaient oubliées
Comme un papier plié
Sous un petit coussin
Doux comme un mocassin

Se lève le matin
Fait chauffer de l’eau
En regardant au loin
Si le temps sera beau
S’il pleuvra demain
Ce sont des choses inconnues
Qu’elle avait oubliées
Comme un papier plié
Doux comme un oreiller
Celui-là, celui-là même
Où si longtemps avant
Quelqu’un avait écrit
La fin de ce poème
De ce récit

Fait couler de l’eau
Le long de ses reins
Le long de son dos
Et puis se souvient
Comme un papier plié
Sous un petit coussin
Doux comme un mocassin
Ce sont des choses inconnues
Qu’elle avait oubliées
Comme un papier plié
Sous un petit coussin

Ce sont des choses inconnues
Qu’elle avait oubliées
Une soucoupe toute émaillée
Qu’un rayon fait briller
Genre humain

J’ai remonté la Seine
Jusqu’au Pont des Arts
C’est là que je venais
Par la rue des Beaux-Arts
Pour un chocolat chaud
Une miche de pain
Installé tout au fond
Avec le genre humain

Et par la rue du Havre
Où je suis repassé
Quand je me suis fâché
Avec le genre humain
Pour une escale bleue
Aux flammèches bizarres
Pleine de miséreux
Vers la rue Saint-Lazare

Et je me sais assis
J’ai vu venir quelqu’un
Il était seul aussi
Ce n’était qu’un gamin
Il a voulu me suivre
Il m’a donné la main
Mais il ne savait pas
Que depuis ce matin
Je m’étais fâché

Comment te nommes-tu
A grelotter quand même
Dans un pardessus
De mauvaise laine
A regarder le Louvre
Au milieu des phalènes
Comment te nommes-tu
Qui t’a fait de la peine

Et je me suis maudit
De si bien me connaître
Les étoiles, mes amies
Dites-moi le pourquoi
Au dessus des abris
Comme il peut faire si froid
Comme il peut faire si nuit

Alors nous avons bu
Tout un litre de vin
En as-tu une aussi
De petite catin
Il en avait une
Une amoureuse brune
Comme une tache claire
Dans la poudre de Lune
Qui descendait le voir
Pour le chevaucher
Et nous avons marché
Jusqu’au petit matin
La porte de Vincennes
Et puis vers Les Lilas
J’en ai connu souvent
De cette fleur-là
Qui dansait sous le vent

Alors je me demande
Ce qu’il est devenu
Des femmes sont venues
Pour l’emmener le prendre
Et le faire s’épouiller
Sous la douche brûlante
Mais il les a mordues

Son prénom c’est le mien
Quand je me suis fâché
Avec le genre humain

Son prénom c’est le mien

Voulez-vous savoir

Il est un pays
Où j’ai laissé
Un peu de ma vie
Qui m’a blessé
Voulez-vous savoir
Ce qui s’est passé
Comme un petit jouet
Une poupée
Une main qui dansait
Qu’on a coupée
Voulez-vous savoir
Quelle sorte de vie on a
Sans le vouloir
On a
On a
On a

Toutes les boussoles
M’ont vu me retourner
Chercher sur le sol
Ce qu’elle avait laissé
Voulez-vous savoir
Ce qu’il est resté
Ce qu’était la nuit
Autour d’un feu
Quelques secrets et puis
En plein milieu
Comme planté dans son front
Le couteau de l’amour
Comme planté dans son front
Le couteau
Le couteau
Le couteau
Le couteau
On a
On a

Quelle sorte de vie

Comme un petit jouet
Une poupée
Une main qui dansait
Qu’on a coupée
Voulez-vous savoir
On a
Sans le vouloir
On a
On a
On a
On a

O Amazonie

Oh Amazonie, que tu es loin
Avec tes odeurs de pluie
Amazonie
Les cris des singes dans le lointain
Avec tes grands arbres bruns
Tes bassins bleus comme du verre

Oh Amazonie, je te l’avais dit
Un matin, je reviendrai
J’ai survolé la piste
Et de mes doigts comme un pianiste
Amazonie
Dans la glaise j’ai modelé son corps

Manitoba ne répond plus
Il s’est brisé les ailes
Contre un amas de bambou
Il s’est cassé debout

Oh Amazonie, qu’es-tu devenue
Avec tes grands arbres nus
Amazonie
Tes sons de flûtes inconnues
Amazonie
Au fond de forêts étendues
Comme une page à moitié lue

Oh Amazonie, que tu es loin

Le pavillon de Buzenval

Le pavillon de Buzenval
Dans la cité-dortoir
Il faudra bien que ces choses finissent
Qu’un dieu mauvais les punisse
Ils marchent sous la pluie
Vers où, vers quoi, vers qui ?
Ce sont eux aujourd’hui
Comme avant ce fut nous

Le pavillon de Buzenval
Dans la cité-dortoir
Je la retrouvais quelque part
Nous allions sur un lit
Elle recrachait sa fumée dans le noir
Puis il était minuit
Elle retournait vers une dernière histoire
Vers où, vers quoi, vers qui ?
Ou bien arpentait seule la ville jusqu’au jour
L’époque était ainsi
Libre, belle, sans détour
Et les passants aussi
Aidant une aïeule à descendre esseulée
Dans la cire molle et tendre
Dans la cire molle et tendre

J’attendrais longtemps
Ou bien vers un café
Lorsqu’elle venait, frileuse
Serrée dans son ciré
Le visage blanc, les joues creuses
A une table dans le fond
Nous allions nous glisser
Jusque sous les plafonds
En haut d’un escalier
Se caresser, se mordre
Et tout n’était un jeu

Le pavillon de Buzenval
Et son muret de briques
Aujourd’hui s’est écroulé
Peut-être par le vent détruit
Ses buissons d’azalée
Et puis dans la lumière voilée
Derrière un barbelé
Une fille qui passe
A peur, s’est souvenue
Que bien longtemps dans ces allées
Un homme était venu
Qu’il était aimé
Un homme était venu

Le pavillon de Buzenval
Et son muret de briques
Aujourd’hui s’est écroulé
Son buisson d’azalée
Qu’un homme était venu
Et qu’il était aimé
Qu’un homme était venu

Dans mon berceau j'entends

Dans mon berceau, j’entends
J’entends chanter le vent
Comme un petit enfant
On lui donne la main
On lui montre les choses
Tout habillé de rose
Et de satin blanc
Et de satin blanc

Dans mon berceau, j’entends
J’entends chanter le vent
Dans le fond de mon rêve
Comme un bouton-d’or
Qui n’a que le soleil
Qui n’a que le soleil
Et le bruit des arbres
Et le bruit des arbres
Et le chant de la vie
Et le chant de la vie
Et le chant de la vie

Comme un petit enfant
On lui donne la main
On lui montre les choses
Tout habillé de rose
Et de satin blanc

J’entends chanter le vent
Dans le fond de mon rêve
Comme un bouton-d’or
Qui n’a que le soleil
Qui n’a que le soleil
Et le vert des arbres
Et le vert des arbres
Et le bruit des feuilles
Et le chant de la vie
Et le chant de la vie
Et le chant de la vie
Et le chant de la vie

Dans mon berceau j'entends

Dans mon berceau, j’entends
J’entends chanter le vent
Comme un petit enfant
On lui donne la main
On lui montre les choses
Tout habillé de rose
Et de satin blanc
Et de satin blanc

Dans mon berceau, j’entends
J’entends chanter le vent
Dans le fond de mon rêve
Comme un bouton-d’or
Qui n’a que le soleil
Qui n’a que le soleil
Et le bruit des arbres
Et le bruit des arbres
Et le chant de la vie
Et le chant de la vie
Et le chant de la vie

Comme un petit enfant
On lui donne la main
On lui montre les choses
Tout habillé de rose
Et de satin blanc

J’entends chanter le vent
Dans le fond de mon rêve
Comme un bouton-d’or
Qui n’a que le soleil
Qui n’a que le soleil
Et le vert des arbres
Et le vert des arbres
Et le bruit des feuilles
Et le chant de la vie
Et le chant de la vie
Et le chant de la vie
Et le chant de la vie

Le pavillon de Buzenval

Le pavillon de Buzenval
Dans la cité-dortoir
Il faudra bien que ces choses finissent
Qu’un dieu mauvais les punisse
Ils marchent sous la pluie
Vers où, vers quoi, vers qui ?
Ce sont eux aujourd’hui
Comme avant ce fut nous

Le pavillon de Buzenval
Dans la cité-dortoir
Je la retrouvais quelque part
Nous allions sur un lit
Elle recrachait sa fumée dans le noir
Puis il était minuit
Elle retournait vers une dernière histoire
Vers où, vers quoi, vers qui ?
Ou bien arpentait seule la ville jusqu’au jour
L’époque était ainsi
Libre, belle, sans détour
Et les passants aussi
Aidant une aïeule à descendre esseulée
Dans la cire molle et tendre
Dans la cire molle et tendre

J’attendrais longtemps
Ou bien vers un café
Lorsqu’elle venait, frileuse
Serrée dans son ciré
Le visage blanc, les joues creuses
A une table dans le fond
Nous allions nous glisser
Jusque sous les plafonds
En haut d’un escalier
Se caresser, se mordre
Et tout n’était un jeu

Le pavillon de Buzenval
Et son muret de briques
Aujourd’hui s’est écroulé
Peut-être par le vent détruit
Ses buissons d’azalée
Et puis dans la lumière voilée
Derrière un barbelé
Une fille qui passe
A peur, s’est souvenue
Que bien longtemps dans ces allées
Un homme était venu
Qu’il était aimé
Un homme était venu

Le pavillon de Buzenval
Et son muret de briques
Aujourd’hui s’est écroulé
Son buisson d’azalée
Qu’un homme était venu
Et qu’il était aimé
Qu’un homme était venu

O Amazonie

Oh Amazonie, que tu es loin
Avec tes odeurs de pluie
Amazonie
Les cris des singes dans le lointain
Avec tes grands arbres bruns
Tes bassins bleus comme du verre

Oh Amazonie, je te l’avais dit
Un matin, je reviendrai
J’ai survolé la piste
Et de mes doigts comme un pianiste
Amazonie
Dans la glaise j’ai modelé son corps

Manitoba ne répond plus
Il s’est brisé les ailes
Contre un amas de bambou
Il s’est cassé debout

Oh Amazonie, qu’es-tu devenue
Avec tes grands arbres nus
Amazonie
Tes sons de flûtes inconnues
Amazonie
Au fond de forêts étendues
Comme une page à moitié lue

Oh Amazonie, que tu es loin

Voulez-vous savoir

Il est un pays
Où j’ai laissé
Un peu de ma vie
Qui m’a blessé
Voulez-vous savoir
Ce qui s’est passé
Comme un petit jouet
Une poupée
Une main qui dansait
Qu’on a coupée
Voulez-vous savoir
Quelle sorte de vie on a
Sans le vouloir
On a
On a
On a

Toutes les boussoles
M’ont vu me retourner
Chercher sur le sol
Ce qu’elle avait laissé
Voulez-vous savoir
Ce qu’il est resté
Ce qu’était la nuit
Autour d’un feu
Quelques secrets et puis
En plein milieu
Comme planté dans son front
Le couteau de l’amour
Comme planté dans son front
Le couteau
Le couteau
Le couteau
Le couteau
On a
On a

Quelle sorte de vie

Comme un petit jouet
Une poupée
Une main qui dansait
Qu’on a coupée
Voulez-vous savoir
On a
Sans le vouloir
On a
On a
On a
On a

Genre humain

J’ai remonté la Seine
Jusqu’au Pont des Arts
C’est là que je venais
Par la rue des Beaux-Arts
Pour un chocolat chaud
Une miche de pain
Installé tout au fond
Avec le genre humain

Et par la rue du Havre
Où je suis repassé
Quand je me suis fâché
Avec le genre humain
Pour une escale bleue
Aux flammèches bizarres
Pleine de miséreux
Vers la rue Saint-Lazare

Et je me sais assis
J’ai vu venir quelqu’un
Il était seul aussi
Ce n’était qu’un gamin
Il a voulu me suivre
Il m’a donné la main
Mais il ne savait pas
Que depuis ce matin
Je m’étais fâché

Comment te nommes-tu
A grelotter quand même
Dans un pardessus
De mauvaise laine
A regarder le Louvre
Au milieu des phalènes
Comment te nommes-tu
Qui t’a fait de la peine

Et je me suis maudit
De si bien me connaître
Les étoiles, mes amies
Dites-moi le pourquoi
Au dessus des abris
Comme il peut faire si froid
Comme il peut faire si nuit

Alors nous avons bu
Tout un litre de vin
En as-tu une aussi
De petite catin
Il en avait une
Une amoureuse brune
Comme une tache claire
Dans la poudre de Lune
Qui descendait le voir
Pour le chevaucher
Et nous avons marché
Jusqu’au petit matin
La porte de Vincennes
Et puis vers Les Lilas
J’en ai connu souvent
De cette fleur-là
Qui dansait sous le vent

Alors je me demande
Ce qu’il est devenu
Des femmes sont venues
Pour l’emmener le prendre
Et le faire s’épouiller
Sous la douche brûlante
Mais il les a mordues

Son prénom c’est le mien
Quand je me suis fâché
Avec le genre humain

Son prénom c’est le mien

Quand une femme

Quand une femme
Se lève le matin
Fait chauffer de l’eau
Regarde ses mains
Sort sur le devant
De son bungalow
Peut-être alors elle se souvient
Des choses inconnues
Qu’elles avaient oubliées
Comme un papier plié
Sous un petit coussin
Doux comme un mocassin

Se lève le matin
Fait chauffer de l’eau
En regardant au loin
Si le temps sera beau
S’il pleuvra demain
Ce sont des choses inconnues
Qu’elle avait oubliées
Comme un papier plié
Doux comme un oreiller
Celui-là, celui-là même
Où si longtemps avant
Quelqu’un avait écrit
La fin de ce poème
De ce récit

Fait couler de l’eau
Le long de ses reins
Le long de son dos
Et puis se souvient
Comme un papier plié
Sous un petit coussin
Doux comme un mocassin
Ce sont des choses inconnues
Qu’elle avait oubliées
Comme un papier plié
Sous un petit coussin

Ce sont des choses inconnues
Qu’elle avait oubliées
Une soucoupe toute émailléeQu’un rayon fait briller

Aux fontaines j'ai bu

Maintenant j'irai voir
Aux fontaines j'ai bu
Flaques roses ou noires
Etrange Malibu

Maintenant j'irai prendre
Du bout des lèvres
Sorte de scolopendre
Qui vous donne la fièvre
Qui vous donne la fièvre
Qui vous donne la fièvre

Maintenant je m'ennuie
Aux fontaines j'ai pu
Boire jusqu'à la lie
A bride rabattue

Mais le jour est venu
Maintenant je m'enfuis
Aux fontaines j'ai bu
Comme pâte de fruit
Comme pâte de fruit

Maintenant j'irai voir
Je ne toucherai plus
Aux fontaines j'ai bu
Aux fontaines j'ai bu

Aux fontaines j'ai bu
Aux fontaines j'ai bu
Aux fontaines j'ai bu
Aux fontaines j'ai bu

Le pays de la liberté

On m’a dit que c’est tout à côté
Le pays de quoi
De la liberté
Le pays

J’ai vu des hommes décharnés
J’ai vu des femmes
Des enfants aux cheveux orangés
J’ai vu des larmes
J’ai marché, j’ai marché, j’ai marché
Mais je n’ai pas trouvé
J’ai marché, j’ai marché, j’ai marché
Mais je n’ai pas trouvé

On passe tout à côté de la vie
A grands coups de pinceau
On passe tout à côté de la vie
On passe tout à côté

J’ai marché, j’ai marché, j’ai marché, j’ai marché
J’ai marché, j’ai marché, j’ai marché, j’ai marché
J’ai marché, j’ai marché, j’ai marché, j’ai marché
J’ai marché

On voit des mains, des bras tendus
On croit que c’est des mats
Où claquent toutes les guenilles
Où claquent toutes les guenilles

J’ai croisé des hommes décharnés
Des enfants couverts de bleus
Qui perdaient leurs dents
Perdaient leurs cheveux
Qui perdaient leurs dents
Perdaient leurs cheveux
Mais j’ai bien vu dans leurs yeux

Mais c’est où mais c’est où mais c’est où mais c’est où
Mais c’est où mais c’est où
Mais c’est où mais c’est où mais c’est où mais c’est où
Mais c’est où mais c’est où mais c’est où mais ce pays
Mais c’est où, mais c’est où, mais c’est où

On m’a dit que c’est tout à côté
Le pays de quoi
De la liberté
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché
Il parait qu’il me pendait au nez
Mensonge, mensonge, mensonge, mensonge
Il parait qu’il me pendait au nez
Mensonge

On voit des hommes décharnés
Tendre la main à qui
Avec une plaie sur le côté
Où l’on boit, où l’on boit, où l’on boit
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
On voit des hommes décharnés
Tendre la main à qui
Certains disent même que c’est tout près
Qu’on marche parfois dessus

Mais c’est où, mais c’est où, mais c’est où
Mais c’est où, mais c’est où
Mais c’est où, mais c’est où, mais c’est où
Mais c’est où, mais c’est où, mais c’est où
Mais c’est où ce pays
Mais c’est où, mais c’est où, mais c’est où

On m’a dit que c’est tout à côté
Le pays de quoi
De la liberté
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai cherché
Mensonge, mensonge, mensonge, mensonge
Mensonge, mensonge, mensonge

Dans un jardin que je sais

Dans un jardin que je sais
Comme une ombre venait
De longs cheveux sur elle
Et moi je me disais mon dieu
Que je revive

Une fois elle a choisi
Dans le creux de sa main
Quelque chose comme un fruit
Quelque chose comme un fruit
Et moi je me suis dit
Mon dieu que je revive
Que je sois cette mûre
Cette simple cerise
Accrochée contre un mur
Et qu’elle me voit
Par sa paume attrapée
Je resterai sans voix
Par sa lèvre touchée

Nous nous sommes retrouvés
Dans le mitan du lit
C’est ce que j’avais rêvé
Dans les contes et légendes
Alors je me suis dit
Mon dieu qu’elle m’entende
Que je sois cette ramure
Cette simple cerise
Accrochée contre un mur
Et qu’elle me voit
Par sa paume attrapée
Je resterai sans voix
Par sa lèvre mordue

Mais ce jardin, c’est ma rue
Près de chez moi
Peut-être m’avez-vous vu
Me tourner vers quelque chose
Mon dieu me dire
Si je pouvais la suivre
Etre ce buisson de roses
Vers lequel elle se tourne
Où son regard se pose
Et dont elle se détourne
Pour autre chose
Et dont elle se détourne
Pour autre chose

Etre ce buisson de roses
Etre ce buisson

Comme un Lego

C’est un grand terrain de nulle part
Avec de belles poignées d’argent
La lunette d’un microscope
Et tous ces petits êtres qui courent
Car chacun vaque à son destin
Petits ou grands
Comme durant les siècles égyptiens
Péniblement
Porter mille fois son poids sur lui
Sous la chaleur et dans le vent
Dans le soleil ou dans la nuit
Voyez-vous ces êtres vivants
Voyez-vous ces êtres vivants
Voyez-vous ces êtres vivants

Quelqu’un a inventé ce jeu
Terrible, cruel, captivant
Les maisons, les lacs, les continents
Comme un Lego avec du vent
La faiblesse des tout-puissants
Comme un Lego avec du sang
Force décuplée des perdants
Comme un Lego avec des dents
Comme un Lego avec des mains
Comme un Lego

Voyez-vous tous ces humains
Danser ensemble à se donner la main
S‘embrasser dans le noir à cheveux blonds
À ne pas voir demain comme ils seront
Les capitales sont toutes les mêmes devenues
Facettes d’un même miroir
Vêtues d’acier, vêtues de noir
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego

Facettes d’un même miroir
Vêtues d’acier, vêtues de noir
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego mais sans mémoire
Comme un Lego

Pourquoi ne me réponds-tu jamais
De ta retraite sous ton arbre
Depuis ce manguier de plus de dix mille pages
A te balancer seul dans une cage
A voir le monde de si haut
Comme un insecte mais sur le dos
Comme un insecte mais sur le dos
Comme un insecte

C’est un grand terrain de nulle part
A la lunette d’un microscope
On regarde, on regarde, on regarde dedans
On voit de toutes petites choses qui luisent
Ce sont des gens dans des chemises
Comme durant les siècles de la longue nuit
Dans le silence ou dans le bruit
Dans le silence ou dans le bruit
Dans le silence

PLATINUM COLLECTION - 2007


Pochette du CD « Platinum collection » sorti en 207.

1. Y’a une route
2. Il voyage en solitaire
3. Attends que le temps te vide
4. Rouge-gorge
5. C’est un parc
6. Le pont
7. La mer n’a pas cessé de descendre
8. Quand tu portes
9. Manteau rouge
10. Pavillon sous la neige
11. Marchand de rêves
12. 2870
13. Comme un guerrier
14. Entrez dans le rêve
15. Et l’or de leurs corps
16. Banlieue nord
17. Filles des jardins
18. Solitude des latitudes
19. Toutes choses
20. Matrice
21. Le chant du cygne
22. Revivre
23. Eden bay
24. Territoire de l’Inini
25. Paradis
26. La ballade des échinodermes
27. Vahinée ma soeur
28. À un jet de pierre
29. Demain il fera nuit
30. Quand on perd un ami
31. Dans les jardins du XXème siècle
32. L’enfant soldat
33. Jardin des délices
34. Fauvette
35. Veux-tu ?
36. La voie royale

1-3, 5 sont tirées de « Y’a une route ».
4 est tirée de « Rien à raconter ».
7, 12 sont tirées de « 2870 ».
8 est tirée de « Royaume de Siam ».
9 est tirée de « L’atelier du crabe ».
10 est un inédit de 1999.
11 est tirée de « Le train du soir ».
13 est tirée de « Comme un guerrier ».
14 est tirée de « Lumières ».
15 est tirée de « Prisonnier de l’inutile ».
16-20 sont tirées de « Matrice ».
21-24 sont tirées de « Revivre ».
25, 26 sont tirées de « La vallée de la paix ».
27 est tirée de « Jadis et naguère ».
28-31 sont tirées de « Le langage oublié ».
32-36 sont tirées de « Obok ».

OBOK - 2006



Pochette du CD « Obok ». (...) = inaudible ou incompréhensible à l'écoute.

L'enfant soldat
Jardin des délices
Fauvette
Obok
Ne les réveillez pas
Chaînes
Pacte avec mon sang
Veux-tu ?
La voie royale


Manset est de retour. Finalement, on ne l'attendait pas de si tôt : il nous avait habitué à des escapades plus longues entre deux disques. Mais il est bien là, sur le pas de notre porte, en chair et en os – ces guitares tumultueuses, ces pianos à l'attaque franche et cette voix particulière – et le plaisir qu'on a à le retrouver est indéniable. Il n'a pas vraiment changé, évoque toujours ces paradis originels qui lui tiennent tant à cœur : l'enfance bien sûr mais aussi les ailleurs – Afrique, Asie, continents naguère préservés qui se délitent avec le temps. Grand écart permanent entre ces idéaux perdus et cette vie occidentale, teintée de gris ; "Fauvette", une adolescente fugueuse peinte dans ce décor de station-service d'autoroute, le poids de la réalité contre ce désir de découvrir, de fuir.

Manset est de retour. Et avec lui, ce bestiaire omniprésent, ce saxophone échappé de "Matrice", ces reggaes improbables qui se terminent en apocalypse salutaire, ces échafaudages miraculeux de guitares qui claquent et qui grondent, de batteries conquérantes et d'orgues somptueuses. "Le Jardin des Délices", "La Voie Royale", morceaux ambitieux dans la plus grande tradition, mais qui parviennent toujours à nous soulever comme une plume. Absentes remarquées cependant, les cordes que Manset sait pourtant si bien arranger ont été mises de côté sur ce disque ; on pourra le regretter mais cela n'enlève finalement pas grand chose à la complexité de ses compositions. Autre évolution qui prolonge cette fois "Le Langage Oublié", l'usage accru de la première personne et des expériences personnelles ; Manset remet sur le mur ce masque qu'il portait et apparaît même (de dos) sur la pochette : "Ne les réveillez pas", nocturne émouvant dont le piano inspiré de Chopin dégage presque autant d'émotion que la chanson "Quand on perd un ami" sur l'album précédent. Manset s'essaie même avec une certaine réussite à l'ironie dans "Pacte avec mon sang", relecture du mythe de Faust au milieu de guitares prêtes à bondir - chiens de garde en laisse, devant le rôdeur qui approche.

On retrouvera donc dans cet album la densité d'un bon album de Gérard Manset (à part peut-être "Veux-tu ?", que je trouve un peu plus faible) : les rouages sont bien huilés, la vapeur s'échappe de toute part, le curseur est en place : Manset est bien de retour.

Christophe Dufeu


Sylvain Fesson : Parlons donc d’ « Obok ». On sent que ce 18ème album s’inscrit dans la démarche poursuivie avec la publication du recueil de textes « 9 alternatives à Obok », à savoir que ses chansons sont elles-mêmes plus directes, plus humaines que celles de votre précédent disque, « Le langage oublié ».
Manset : Oui, c’était le but de l’opération. J’y suis parvenu car, sur le plan technique, j’ai géré autrement. J’ai été plus loin dans l’analogique et donc je retrouve un son des années 80 que je n’avais pas sur « Le langage oublié » et que je cherche depuis un certain nombre d’albums. Là, j’ai pu travailler avec la console analogique du Palais des Congrès et voilà, j’ai le son que je veux depuis au moins 10 ou 15 ans. Et puis, j’ai avec moi de superbes musiciens live, le batteur et le pianiste présents tout au long du disque. J’ai donc voulu tous ces sons très épais, très larges, très gras et par-dessus j’ai mis une voix qui, sur la plupart des titres, est analogique. Je l’ai elle aussi reprise dans les conditions des années 80. On obtient donc des chansons plus grasses, plus Neil Young, quoi.

S.F. : Plus « cul terreuse », si j’ose dire.
Manset : On est d’accord, on a quelque chose de plus campeur ou country et pas des chansons transparentes et creuses comme la plupart des sons d’aujourd’hui et comme ce son que j’avais regretté avoir sur « Le langage oublié ». Enfin… regretté : j’étais à 50% du son que je voulais avec « Le langage oublié ». On va dire qu’avec l’album d’avant, « Jadis et naguère », j’étais à 30% du son. Mais c’était immaîtrisable, hein, il n’y a pas un ingénieur qui aurait pu le maîtriser autrement. J’étais à 30% et j’ai réussi à le monter à 50 voire 60 % pour « Le langage oublié ». Et là, je suis à 95% comme pour « Matrice ». Celui-là, j’en suis satisfait. Les précédents, je l’étais moins. Je ne voudrais pas dire le contraire de ce qu’on disait tout à l’heure, mais d’un seul coup, là, le mec apparaît, il est dans l’album, voilà. Alors que ce soit moi ou pas moi, je n’en sais rien, mais au moins la voix existe. J’en avais marre d’avoir des voix qui étaient à 10% de mes possibilités. J’en avais marre !

S.F. : Pourquoi étiez-vous seulement à 10% de vos possibilités ?
Manset : Là, c’est totalement une question d’ordre technique. Aujourd’hui, quand vous prenez une photo en numérique, elle a beau avoir des millions de pixels, elle est à 3% de ce qu’on a en analogique, avec un argentique. Il faut le pratiquer pour le savoir, mais c’est comme ça. Et pour le son, c’est la même chose. En numérique, il y a une sorte d’épaisseur, de chaleur, de profondeur qui n’est pas là. C’est comme s’il n’y avait pas de couches. Comment dire ? Tout à l’heure, je parlais des différentes interprétations que les gens ont de mon univers, interprétations qui sont comme des couches qui s’additionnent les unes aux autres. Et bien contrairement au numérique, l’analogique tient compte de ces couches qui font la vie d’un homme. Celui qui avait fait « Animal on est mal » en 68, n’avait pas toutes ces couches. Il est évident que s’il n’y avait que deux albums, celui de 68 et celui d’aujourd’hui, on mesurerait à plein de petits détails qu’il y a bien eu une vie entre les deux. Entre l’analogique et le numérique, il y a cette différence, cette sorte de vie épaisse, chargée, qui tient d’ailleurs à des tas d’erreurs sur le plan acoustique, électronique. Le numérique est parfait, vrai et inintéressant alors que l’analogique est faux et tout à fait grandiose sur le plan de la création artistique.

S.F. : On a l’impression que le coté « cul terreux » d’ « Obok » est une réaction au coté «cathédrale » du « Langage oublié ».
Manset : C’est vrai.

S.F. : On est plus « ici, maintenant » ?
Manset : Oui, c’est ça. Et, étant donné que c’est moi qui fait tout, là on a de vrais moyens de comparaisons, qu’aucun artiste n’a ou ne peut avoir. Que ce soit Johnny, que ce soit Bashung, que ce soit qui l’on veut, il y a toujours des producteurs différents, des paroliers différents, des musiciens différents. Or chez moi, l’analyse est absolument parfaite car ce sont les mêmes composants. Donc c’est bien un traitement différent qui fait qu’on entend des choses différentes. J’aurais fait « Le langage oublié » aujourd’hui, il est évident que je n’aurais pas pris les mêmes chansons. J’aurais fait « A un jet de pierre » sur Obok, il aurait été monstrueux.

S.F. : Quand on s’était rencontré pour « Le langage oublié », vous m’aviez dit être très content d’ « A un jet de pierre ».
Manset : Ah oui, d’ailleurs il est très possible que je le refasse. Je ne sais pas pourquoi je n’y ai pas pensé avant mais voilà quelque chose qui pourrait m’amuser. Parce que maintenant, encore une fois, c’est strictement une histoire de matériel. Au Palais des Congrès, la console a été entièrement refaite et j’ai pu travailler avec alors que je n’avais pas pu pour « Le langage oublié », pour lequel j’avais eu une console beaucoup plus médiocre. Il n’y en a plus à Paris de très belles consoles de l’époque Pink Floyd et compagnie. Donc oui, il n’est pas impossible que j’aille passer une journée sur « Un jet de pierre » que j’aime beaucoup effectivement. Ah, il faudrait que je refasse quand même la batterie.
Enfin, ce n’est pas évident, elle sonnait bien tout de même. Donc il faudrait que je la repasse par la console, que je fasse une voix analogique, que je refasse une ou deux guitares et je me refais « Un jet de pierre », je le mets dans « Obok » et voilà il fait partie de la même histoire. Ah, partant de là, il y a quelques morceaux du « Langage oublié » qui pourraient faire partie de la même histoire. Il n’y en aurait pas beaucoup, mais il y aurait « A un jet de pierre », il y aurait « A quoi sert ? », qui serait très facile à remettre dedans. « Le langage oublié », non. Parce que c’est un thème trop long, trop barré, trop abstrait et trop épilogué. Ça fait partie de ces sortes de sagas que je fais parfois. Là, j’en ai voulu une. J’en avais deux, mais il n’en reste qu’une, c’est « Fauvette ». Mais je l’ai voulue saga folk. Donc forcément, ça ne me fait pas partir dans des délires.

S.F. : Oui, elle est un peu à part de l’album, comme l’était, je trouve, « Mensonge aux foules », le morceau reggae du « Langage oublié ». D’ailleurs, son texte est aussi plus explicite et frontal que les autres textes du disque comme l’était celui de « Mensonge aux foules ». Mais là le texte de « Fauvette » est un texte beaucoup plus long, dont la diction déborde carrément de la mélodie du morceau. A-t-il été dur à chanter ?
Manset : Pas du tout. Au contraire, comme il est musicalement top – volontairement cassé, mais très rimé – il y a une seule façon de le phraser et c’est de le phraser avec une sorte de sensation franchouillarde qui s’avère très jouissive pour moi. Je suis très content de ce texte parce que c’est quelque chose que quasiment personne ne sait faire ici. Là, pour une fois que je suis fier de quelque chose, je peux le dire.

S.F. : Ah… ça vous arrive d’être fier de vous !?
Manset : Je vous fais rigoler, mais c’est la vérité. Ce texte, c’est une sorte, peut-être pas de tour de force, mais de machine très compliquée à régler. Elle m’est tout de même venue instinctivement. J’ai coupé ensuite. J’en avais au moins quinze couplets!...

S.F. : « Fauvette », c’est le seul morceau de bravoure d’Obok?
Manset : Il y a aussi « Pacte avec mon sang ». Mais « Fauvette » est un titre, comment dire ? Cabrel aurait peut-être rêvé d’en avoir un comme ça, voilà. Quelqu’un comme Capdevielle à une certaine époque, il aurait pu me faire « Fauvette »…

S.F. : « Fauvette », est-ce morceau qui devait être rock et faire plus de sept minutes dont vous me parliez déjà à l’époque du « Langage oublié » ?
Manset : C’est possible, oui, parce qu’il était déjà fait. Il y a très peu de titres à moi que je prends plaisir à recréer in vivo, pour ne pas dire sur scène puisque je n’en fais pas, mais celui-là en fait partie. Chanter « Le langage oublié », ça m’emmerderait, je m’endormirais. Je l’adore, mais même quand je l’ai fait, ça m’emmerdait. C’est tellement lent et narratif. Quand on perd un ami aussi. Par contre, « A quoi sert ? », j’aime la rejouer.

S.F. : Malgré son aspect plus direct et folk, « Obok » contient tout de même quelques «titres lents et narratifs», notamment « Ne les réveillez pas ».
Manset : Alors celui-là, par contre, j’adorerais le faire live. Parce que là, il y a un texte qui n’arrête pas. Voilà : peut-être que le problème avec « Le langage oublié », c’est que moi-même je ne sais plus où j’en suis. J’exagère mais dans « Le langage oublié », on se dit : « Où il va ce mec ? Il était assis, le voilà qui se lève, etc. » Il se passe trop de choses si bien qu’on ne sait plus où l’on est. On a affaire à une sorte de très bel opéra, mais, voilà, on s’endort, comme dans l’opéra en général. On s’endort, bercé par la musique, mais on se fout de savoir ce que les mecs racontent. « Le langage oublié », c’est un peu ça. Tandis que « Ne les réveillez pas », non. D’abord, il y a moins de mélodie. Le texte est presque dit. C’est récitatif. Donc on a envie de le redire. « Ils sont dans leur sommeil comme de petits œufs / simples abeilles…» Les mots tombent tous les uns après les autres, boum, boum.

S.F. : La mélodie de piano m’évoque vaguement un célèbre morceau de musique classique.
Manset : C’est « La sonate au clair de lune » de Beethoven. J’avais besoin de cette cadence qu’a « La sonate au clair de lune ». Et d’un piano parce que c’est quand même le seul instrument qui soit un orchestre en soi.

S.F. : Quand vous avez écrit le texte les mots sont tout naturellement venus sur cette cadence ?
Manset : Non, parce que je l’ai faite à la guitare.

S.F. : Ah, oui, c’est vrai que vous parlez de la genèse de ce morceau dans « 9 alternatives à Obok ». Il vous vient alors que vous rentrez d’une soirée entre amis, chez qui vous avez été émerveillé de voir les enfants dormir bien au chaud dans leur chambre.
Manset : Oui, donc c’était à la guitare. Je l’avais en tête dans le taxi. Mais ce côté lancinant, répétitif et ce côté coup de marteau, il n’y a que le piano qui peut le donner. (Il chante le rythme répétitif du piano en tapant du poing sur la table.)

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L’enfant soldat

Enrôlé de force
Quelques coups de crosse
Sur un visage d'enfant
C'est comme un fruit qui se fend

Dans la jungle pire encore
Mais que rien n'interdira
Vivant dans son trou comme un rat
Mais que rien n'interdira

Car j'ai vu son visage
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture des villes
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture

Nouveau Tchernobyl
De bave et de bile
Mais à nos portes qui se presse
Le chloroforme et la compresse

Dans la jungle pire encore
Mais que rien n'empêchera
Vivant dans son trou comme un rat
Vivant comme un enfant soldat

Car j'ai vu son visage
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture des villes
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture

Kilomètre 20
Ils étaient bien vingt
Les cheveux rouges comme de l'étoupe
Avec la machette, le coupe-coupe

Je l'ai posé près de la route
Et c'est cette eau sale qu'il a bue
Cadavres de chiens, de zébus
C'est cette eau sale qu'il a bue

Car j'ai vu son visage
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture des villes
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture

Une chaleur atroce
Le ciel qui se teinte en gris
Enrôlé de force
De Lagos à Conakry

Quelques coups de crosse
Ces lèvres noires qui me sourient
Dures comme de l'écorce
De Lagos à Conakry

Dans la jungle pire encore
Car j'ai vu son visage

Jardin des délices

Quand le monde autour de toi aura tant changé
Que toutes ces choses que tu frôlais sans danger
Seront toutes si lourdes à bouger
Seront toutes des objets étrangers

Où l'a-t-on rangé
Ce bout de verger
Avec ses fleurs grimpantes
Sa lumière en pente
Couleur de dragée ?

Quand le monde autour de toi sera mélangé
Que le drap de ta chambre dans l'ombre restera plongé
Que viendra la nuit aux pourpres orangés
Et sans rien de plus peut-être pour te protéger

Où l'a-t-on rangé
Ce bout de verger
Avec sa glycine
Comme une racine
Dans la terre plongée ?

Dans la terre plongée

Jardin des délices
Tourne comme une hélice
Dans le fond du crâne
Tourne comme une hélice

Fauvette

Elle avait pas dormi depuis plus de trois jours
Une petite fauvette aux yeux peints
Avec des bagues aux doigts, une jupe de daim
Avec un blouson de satin

Elle est partie dans le fond téléphoner
A on ne sait qui
On l’a vue qui pleurait
Et puis se recoiffer comme une furie
Se moucher dans sa manche

Quelqu’un devait l’attendre dehors mais il neigeait
Elle a rabattu sa capuche, écrasé sa cigarette
Laissé quelques pièces de monnaie
Ramassé comme un petit Donald en peluche
Ramassé comme un petit Donald en peluche

J’en aurais pas parlé si ce n’était pas un dimanche
Avec ce qu’on peut pleurer pour les hommes
Les petits, les moches, les grands, les têtes de pioche
Et ceux qui parlent jamais à personne
Et ceux qui parlent jamais à personne

Quand j’ai vu qu’ils la suivaient
Qu’ils la mangeaient des yeux
La petite fauvette en parka
La petite fauvette

Elle avait pas du dormir depuis pas mal de temps
Comme une alouette blessée
Parce qu’il faut dire qu’il y a pas souvent de printemps
Dans les rues de sa cité

Il y avait un sapin de Noël planté
Un peu plus loin sur le parking
Et les loupiotes qui semblaient lui dire : va t’amuser
Avant que la vie te tombe dessus

Je les aie vus qui marchaient
Dans cette neige fondue vers un camion
Et lui qui la tenait comme ça dans la nuit
Comme si elle avait bu
Qu’elle avait les jambes en coton
Qu’il fallait qu’elle dorme dans un vrai lit
Qu’il fallait qu’elle dorme dans un vrai lit

Si je parle de ça, c’est que je me suis souvent demandé depuis
Ce que j’aurais pu faire de plus
Sinon l’asseoir de force et lui faire cracher son mal de vivre
Personne aurait jamais su
Personne aurait jamais su

Laissez nous comprendre pourquoi tout est ainsi
Escrocs et malfaisants

On en ramasse comme ça
Tous les automnes, tous les hivers
Les ongles encore accrochés
Sur quelques lambeaux de mystère

Pourquoi s’était-elle enfuie de toute la chaleur
Que peuvent donner une mère, une soeur
Un père absent, violent,
Qui peut-être même avait tout brisé
Quand même laissé du bonheur
Quand même laissé du bonheur

Et la dinde, à plus d’heure
Quand j’ai voulu m’en retourner
Tout ça m’était sorti de la tête
Comme toutes ces choses
Qu’on n’a jamais fini de ressasser
Alors le jour s’est levé
Alors le jour s’est levé

Comme un chacal en manque d’amour
Qui lève une charogne
Et vient prendre la place de la nuit
Tous les arbres étaient blancs
Oh sûr, pas comme au temps des cigognes
Au dessus de toutes ces flaques de cambouis
Au dessus de toutes ces flaques

A chacun son démon tapi qui peut sortir de l’ombre
Voilà la seule chose que je me suis dit
Vers un ailleurs indéfini aux portes du hasard
J’ai vu la vallée dans le brouillard
J’ai vu la vallée
Vers un ailleurs indéfini
Aux portes du hasard
J’ai vu la vallée

Obok

Je ne suis pas de chez vous
Vous n’êtes pas de chez moi
Mais comme on se fait tatou
Je me retourne quelquefois
Comme je vais sans vous

On peut tendre mille fois la joue
Fendre son manteau
On peut porter sa croix
Moi, je l’ai portée, voyez-vous
De (…) à (…)
J’en garde quelques coups
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés

Je ne suis pas de chez vous
De vos soldes, de vos marabouts
(…) dans les (…)
(…) ce siècle qui bout
Comme une marmite de fer
Un potage sans goût
On se retourne tout à coup
Comme on voudrait fendre du bois
Mettre le feu à tout
Comme je l’ai mis, voyez-vous
De (…) à (…)
J’en garde quelques coups
Plantés
Plantés
Plantés

De la colline de St Cloud
Je me retourne quelques fois
Le bateau va sans mat
Comme je vais sans vous
On peut tendre mille fois la joue
Fendre son manteau
On peut porter sa croix
Comme je l’aie portée, voyez-vous
De (…) à (…)
J’en garde quelques coups
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés

Ne les réveillez pas

Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Comme de petits œufs
Comme de jeunes abeilles
De simples arbrisseaux
Poussant près des fontaines
D’où naissent toutes les eaux
Toutes rivières idem
Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Un ongle de mica
Et la lèvre vermeille
Tandis qu’au dessus d’eux
Une forme attentive
Songe aux instants d’avant
Où elle était pareille
Elle était semblable
Objet sous une table
Haute comme une chaise
Petit meuble bancal
Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil

Ce songe est indolore
Qui conduit là-bas
On en a vu des équipages
S’endormir
S’endormir
S’endormir comme ça

Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Comme de petits soldats
Raisins sur une treille
Qu’on ne cueillera pas
Au milieu des vallons
Et des vallées sans nombre
Regardez-les dans l’ombre
De jouets insignifiants
Dans la chambre lilas
Ils sont dans leur sommeil
Ne le réveillez pas

J’ai refermé la porte
De ce monde-ci
Afin que rien ne sorte
Comme d’un petit enclos
Au flan d’une colline
Où les choses poussent
(…) ouvrir bientôt
Une toison rousse
Lorsque l’automne est là
Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Ne les réveillez pas

Ce songe est indolore
Qui conduit là-bas
On en a vu des équipages
S’endormir
S’endormir

J’ai refermé la porte
Ne me demandez pas
Si cette chambre existe
Si elle n’existe pas
Comme une place forte
Tandis que j’ai marché
Dans la chambre lilas
Ne les réveillez pas
Le reste est sans objet
Ne les réveillez pas

Ce songe est indolore
Qui conduit là-bas
On en a vu des équipages

Chaînes

Otez-moi ces chaînes que je vois la ville
Que je connaisse encore ces reines de beauté
Qui défilaient la nuit sur des chars allumés
Tandis que des capsules de bramas éventés
Jonchaient le macadam dans l’asphalte incrusté
Comme autant de médailles qui les auraient tentés
Comme autant de médailles
Otez-moi ces chaînes que je vois la ville

Otez-moi ces chaînes
Que je redonne goût
A ce que je goûte
Que je vois la chenille
Au dessus de (…)
(…)
De ce monde tout à côté
Et les millions de familles
Se glisser

Otez-moi ces chaînes que je vois les eaux
Que je connaisse encore la mer démontée
Où je me suis baigné dans les docks et les ports
Couvert de (…) aux lèvres ciselés
Comme l’or des incas que l’on voit ruisseler
Jusqu’au (…) que l’on voit ruisseler
Otez-moi ces chaînes que je connaisse encore

Otez-moi ces chaînes que je les vois danser
Ces reines de la nuit sur leurs chars entrelacés
Couvertes de pierres et de rubis et de satin moiré
(…) ils se soulèvent dans le jour va monter
(…) ils soulèvent dans le jour

Otez-moi ces chaînes que je les vois qui se promènent
Otez-moi ces chaînes que je les vois qui se promènent
Dans le jour qui se lève, qui s’est déjà levé
Dans le jour qui se lève

Pacte avec mon sang

C’était un soir d’orage
Il a frappé à ma fenêtre
Je venais d’écrire quelques pages
Sur le destin de tous les êtres

Qui vivent, qui dorment et qui mangent
Ne se sont pas aimés jusqu’au Gange
Depuis l’antiquité
Moi-même elle vient de me quitter

Alors il s’est assis
C’était comme ça, c’était ainsi
On était frère depuis quelques heures
C’est là qu’il a sorti ses outils

Il a dit : veux-tu la richesse
Etre connu jusqu’au Gwanshee
Au lieu de ta purée de détresse
De tes mains pleines de cambouis ?

Je vois son visage enfin
Avec deux crochets pour les mains
Des trous à la place des yeux

Je me suis vu dans le miroir
J’ai dit : je veux la fortune et la gloire
Ici, demain ou maintenant
Il a dit : signe, en me tenant

D’aucun éternel passant
Je serai Jules Vernes ou Maupassant
C’est un pacte avec mon sang
Pacte signé avec mon sang

On a du parler toute la nuit
Puis voilà le jour qui luit
Je vois son visage enfin
Mi vagabond mi musicien

Priez pour notre salut
C’est le parchemin qu’il m’a lu

C’était un soir d’orage
Il a frappé à ma fenêtre
Je venais d’écrire quelques pages
Sur le destin de tous les êtres

Je serai Jules Verne ou Maupassant
C’est un pacte avec mon sang
C’est un pacte

Veux-tu ?

Veux-tu que je te couvre les épaules
Veux-tu que je t’allonge ou veux-tu que je t’aide
Veux-tu que nous fassions quelques pas au soleil
Ou bien à l’ombre, pour moi tout est pareil
Dans la demeure qui fut la notre

J’allume ou bien j’éteins, veux-tu l’obscurité
Que je me tienne encore à tes côtés
Ou bien fermer les yeux, veux-tu que je me taise
N’entendre que Chopin, Mazurka Polonaise
Dans la demeure qui fut la notre
Dix mille saisons et puis
Dix mille saisons et puis

Veux-tu que je t’entrouvre la fenêtre
Que tu sentes l’odeur que le printemps fait naître
Dans la demeure qui fut la notre

Et j’ai posé mes yeux dans un coin du plafond
Et j’ai touché sa joue froide comme une feuille
Et le jour était là comme un enfant recueille
Un coupe d’oisillons
Un coupe d’oisillons
Un coupe d’oisillons

La voie royale

C’est un bâtiment gris
Au pied du Pnom
Lorsqu’on y va la nuit
On croit frôler les ombres
Et plus loin vers le fleuve
Quelques enfants
Saramani bien sûr
Que l’on vient voir aussi
Que l’on vient voir de prés

Même si l’on s’ennuie
Alors on pense à lui
C’était là qu’il était
Comme un Naja
Dans le bassin
Où il nagea
Jusqu’à ce temple en ruine
Mais tout ne l’est-il pas
Mais tout ne l’est-il pas

Où l’on vend des moineaux
Dans des cages d’osier
Que pour quelques riels
On verra s’échapper
S’envoler vers le ciel
Alors on pense à ça
Alors on pense à lui
Que tout était comme ça
On n’a pas changé depuis
Comme un Naja
Dans le bassin
Où il nagea
Jusqu’à ce temple en ruine

Saramani m’a dit
Que comme il le voulait
D’être enterré ici
Une princesse charme
Vous le connaissez
Comme on connaît ici
Ce que personne ne sait
Ce que personne n’a dit
Alors on pense à lui
C’était là qu’il était
Comme un Naja
Dans le bassin
Où il nagea

Dans le bassin
Où il nagea

La voie royale

C’est un bâtiment gris
Au pied du Pnom
Lorsqu’on y va la nuit
On croit frôler les ombres
Et plus loin vers le fleuve
Quelques enfants
Saramani bien sûr
Que l’on vient voir aussi
Que l’on vient voir de prés

Même si l’on s’ennuie
Alors on pense à lui
C’était là qu’il était
Comme un Naja
Dans le bassin
Où il nagea
Jusqu’à ce temple en ruine
Mais tout ne l’est-il pas
Mais tout ne l’est-il pas

Où l’on vend des moineaux
Dans des cages d’osier
Que pour quelques riels
On verra s’échapper
S’envoler vers le ciel
Alors on pense à ça
Alors on pense à lui
Que tout était comme ça
On n’a pas changé depuis
Comme un Naja
Dans le bassin
Où il nagea
Jusqu’à ce temple en ruine

Saramani m’a dit
Que comme il le voulait
D’être enterré ici
Une princesse charme
Vous le connaissez
Comme on connaît ici
Ce que personne ne sait
Ce que personne n’a dit
Alors on pense à lui
C’était là qu’il était
Comme un Naja
Dans le bassin
Où il nagea

Dans le bassin
Où il nagea

Veux-tu ?

Veux-tu que je te couvre les épaules
Veux-tu que je t’allonge ou veux-tu que je t’aide
Veux-tu que nous fassions quelques pas au soleil
Ou bien à l’ombre, pour moi tout est pareil
Dans la demeure qui fut la notre

J’allume ou bien j’éteins, veux-tu l’obscurité
Que je me tienne encore à tes côtés
Ou bien fermer les yeux, veux-tu que je me taise
N’entendre que Chopin, Mazurka Polonaise
Dans la demeure qui fut la notre
Dix mille saisons et puis
Dix mille saisons et puis

Veux-tu que je t’entrouvre la fenêtre
Que tu sentes l’odeur que le printemps fait naître
Dans la demeure qui fut la notre

Et j’ai posé mes yeux dans un coin du plafond
Et j’ai touché sa joue froide comme une feuille
Et le jour était là comme un enfant recueille
Un coupe d’oisillons
Un coupe d’oisillons
Un coupe d’oisillons

Pacte avec mon sang

C’était un soir d’orage
Il a frappé à ma fenêtre
Je venais d’écrire quelques pages
Sur le destin de tous les êtres

Qui vivent, qui dorment et qui mangent
Ne se sont pas aimés jusqu’au Gange
Depuis l’antiquité
Moi-même elle vient de me quitter

Alors il s’est assis
C’était comme ça, c’était ainsi
On était frère depuis quelques heures
C’est là qu’il a sorti ses outils

Il a dit : veux-tu la richesse
Etre connu jusqu’au Gwanshee
Au lieu de ta purée de détresse
De tes mains pleines de cambouis ?

Je vois son visage enfin
Avec deux crochets pour les mains
Des trous à la place des yeux

Je me suis vu dans le miroir
J’ai dit : je veux la fortune et la gloire
Ici, demain ou maintenant
Il a dit : signe, en me tenant

D’aucun éternel passant
Je serai Jules Vernes ou Maupassant
C’est un pacte avec mon sang
Pacte signé avec mon sang

On a du parler toute la nuit
Puis voilà le jour qui luit
Je vois son visage enfin
Mi vagabond mi musicien

Priez pour notre salut
C’est le parchemin qu’il m’a lu

C’était un soir d’orage
Il a frappé à ma fenêtre
Je venais d’écrire quelques pages
Sur le destin de tous les êtres

Je serai Jules Verne ou Maupassant
C’est un pacte avec mon sang
C’est un pacte

Chaînes

Otez-moi ces chaînes que je vois la ville
Que je connaisse encore ces reines de beauté
Qui défilaient la nuit sur des chars allumés
Tandis que des capsules de bramas éventés
Jonchaient le macadam dans l’asphalte incrusté
Comme autant de médailles qui les auraient tentés
Comme autant de médailles
Otez-moi ces chaînes que je vois la ville

Otez-moi ces chaînes
Que je redonne goût
A ce que je goûte
Que je vois la chenille
Au dessus de (…)
(…)
De ce monde tout à côté
Et les millions de familles
Se glisser

Otez-moi ces chaînes que je vois les eaux
Que je connaisse encore la mer démontée
Où je me suis baigné dans les docks et les ports
Couvert de (…) aux lèvres ciselés
Comme l’or des incas que l’on voit ruisseler
Jusqu’au (…) que l’on voit ruisseler
Otez-moi ces chaînes que je connaisse encore

Otez-moi ces chaînes que je les vois danser
Ces reines de la nuit sur leurs chars entrelacés
Couvertes de pierres et de rubis et de satin moiré
(…) ils se soulèvent dans le jour va monter
(…) ils soulèvent dans le jour

Otez-moi ces chaînes que je les vois qui se promènent
Otez-moi ces chaînes que je les vois qui se promènent
Dans le jour qui se lève, qui s’est déjà levé
Dans le jour qui se lève

Ne les réveillez pas

Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Comme de petits œufs
Comme de jeunes abeilles
De simples arbrisseaux
Poussant près des fontaines
D’où naissent toutes les eaux
Toutes rivières idem
Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Un ongle de mica
Et la lèvre vermeille
Tandis qu’au dessus d’eux
Une forme attentive
Songe aux instants d’avant
Où elle était pareille
Elle était semblable
Objet sous une table
Haute comme une chaise
Petit meuble bancal
Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil

Ce songe est indolore
Qui conduit là-bas
On en a vu des équipages
S’endormir
S’endormir
S’endormir comme ça

Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Comme de petits soldats
Raisins sur une treille
Qu’on ne cueillera pas
Au milieu des vallons
Et des vallées sans nombre
Regardez-les dans l’ombre
De jouets insignifiants
Dans la chambre lilas
Ils sont dans leur sommeil
Ne le réveillez pas

J’ai refermé la porte
De ce monde-ci
Afin que rien ne sorte
Comme d’un petit enclos
Au flan d’une colline
Où les choses poussent
(…) ouvrir bientôt
Une toison rousse
Lorsque l’automne est là
Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Ne les réveillez pas

Ce songe est indolore
Qui conduit là-bas
On en a vu des équipages
S’endormir
S’endormir

J’ai refermé la porte
Ne me demandez pas
Si cette chambre existe
Si elle n’existe pas
Comme une place forte
Tandis que j’ai marché
Dans la chambre lilas
Ne les réveillez pas
Le reste est sans objet
Ne les réveillez pas

Ce songe est indolore
Qui conduit là-bas
On en a vu des équipages

Obok

Je ne suis pas de chez vous
Vous n’êtes pas de chez moi
Mais comme on se fait tatou
Je me retourne quelquefois
Comme je vais sans vous

On peut tendre mille fois la joue
Fendre son manteau
On peut porter sa croix
Moi, je l’ai portée, voyez-vous
De (…) à (…)
J’en garde quelques coups
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés

Je ne suis pas de chez vous
De vos soldes, de vos marabouts
(…) dans les (…)
(…) ce siècle qui bout
Comme une marmite de fer
Un potage sans goût
On se retourne tout à coup
Comme on voudrait fendre du bois
Mettre le feu à tout
Comme je l’ai mis, voyez-vous
De (…) à (…)
J’en garde quelques coups
Plantés
Plantés
Plantés

De la colline de St Cloud
Je me retourne quelques fois
Le bateau va sans mat
Comme je vais sans vous
On peut tendre mille fois la joue
Fendre son manteau
On peut porter sa croix
Comme je l’aie portée, voyez-vous
De (…) à (…)
J’en garde quelques coups
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés

Fauvette

Elle avait pas dormi depuis plus de trois jours
Une petite fauvette aux yeux peints
Avec des bagues aux doigts, une jupe de daim
Avec un blouson de satin

Elle est partie dans le fond téléphoner
A on ne sait qui
On l’a vue qui pleurait
Et puis se recoiffer comme une furie
Se moucher dans sa manche

Quelqu’un devait l’attendre dehors mais il neigeait
Elle a rabattu sa capuche, écrasé sa cigarette
Laissé quelques pièces de monnaie
Ramassé comme un petit Donald en peluche
Ramassé comme un petit Donald en peluche

J’en aurais pas parlé si ce n’était pas un dimanche
Avec ce qu’on peut pleurer pour les hommes
Les petits, les moches, les grands, les têtes de pioche
Et ceux qui parlent jamais à personne
Et ceux qui parlent jamais à personne

Quand j’ai vu qu’ils la suivaient
Qu’ils la mangeaient des yeux
La petite fauvette en parka
La petite fauvette

Elle avait pas du dormir depuis pas mal de temps
Comme une alouette blessée
Parce qu’il faut dire qu’il y a pas souvent de printemps
Dans les rues de sa cité

Il y avait un sapin de Noël planté
Un peu plus loin sur le parking
Et les loupiotes qui semblaient lui dire : va t’amuser
Avant que la vie te tombe dessus

Je les aie vus qui marchaient
Dans cette neige fondue vers un camion
Et lui qui la tenait comme ça dans la nuit
Comme si elle avait bu
Qu’elle avait les jambes en coton
Qu’il fallait qu’elle dorme dans un vrai lit
Qu’il fallait qu’elle dorme dans un vrai lit

Si je parle de ça, c’est que je me suis souvent demandé depuis
Ce que j’aurais pu faire de plus
Sinon l’asseoir de force et lui faire cracher son mal de vivre
Personne aurait jamais su
Personne aurait jamais su

Laissez nous comprendre pourquoi tout est ainsi
Escrocs et malfaisants

On en ramasse comme ça
Tous les automnes, tous les hivers
Les ongles encore accrochés
Sur quelques lambeaux de mystère

Pourquoi s’était-elle enfuie de toute la chaleur
Que peuvent donner une mère, une soeur
Un père absent, violent,
Qui peut-être même avait tout brisé
Quand même laissé du bonheur
Quand même laissé du bonheur

Et la dinde, à plus d’heure
Quand j’ai voulu m’en retourner
Tout ça m’était sorti de la tête
Comme toutes ces choses
Qu’on n’a jamais fini de ressasser
Alors le jour s’est levé
Alors le jour s’est levé

Comme un chacal en manque d’amour
Qui lève une charogne
Et vient prendre la place de la nuit
Tous les arbres étaient blancs
Oh sûr, pas comme au temps des cigognes
Au dessus de toutes ces flaques de cambouis
Au dessus de toutes ces flaques

A chacun son démon tapi qui peut sortir de l’ombre
Voilà la seule chose que je me suis dit
Vers un ailleurs indéfini aux portes du hasard
J’ai vu la vallée dans le brouillard
J’ai vu la vallée
Vers un ailleurs indéfini
Aux portes du hasard
J’ai vu la vallée

Jardin des délices

Quand le monde autour de toi aura tant changé
Que toutes ces choses que tu frôlais sans danger
Seront toutes si lourdes à bouger
Seront toutes des objets étrangers

Où l'a-t-on rangé
Ce bout de verger
Avec ses fleurs grimpantes
Sa lumière en pente
Couleur de dragée ?

Quand le monde autour de toi sera mélangé
Que le drap de ta chambre dans l'ombre restera plongé
Que viendra la nuit aux pourpres orangés
Et sans rien de plus peut-être pour te protéger

Où l'a-t-on rangé
Ce bout de verger
Avec sa glycine
Comme une racine
Dans la terre plongée ?

Dans la terre plongée

Jardin des délices
Tourne comme une hélice
Dans le fond du crâne
Tourne comme une hélice

L’enfant soldat

Enrôlé de force
Quelques coups de crosse
Sur un visage d'enfant
C'est comme un fruit qui se fend

Dans la jungle pire encore
Mais que rien n'interdira
Vivant dans son trou comme un rat
Mais que rien n'interdira

Car j'ai vu son visage
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture des villes
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture

Nouveau Tchernobyl
De bave et de bile
Mais à nos portes qui se presse
Le chloroforme et la compresse

Dans la jungle pire encore
Mais que rien n'empêchera
Vivant dans son trou comme un rat
Vivant comme un enfant soldat

Car j'ai vu son visage
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture des villes
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture

Kilomètre 20
Ils étaient bien vingt
Les cheveux rouges comme de l'étoupe
Avec la machette, le coupe-coupe

Je l'ai posé près de la route
Et c'est cette eau sale qu'il a bue
Cadavres de chiens, de zébus
C'est cette eau sale qu'il a bue

Car j'ai vu son visage
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture des villes
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture

Une chaleur atroce
Le ciel qui se teinte en gris
Enrôlé de force
De Lagos à Conakry

Quelques coups de crosse
Ces lèvres noires qui me sourient
Dures comme de l'écorce
De Lagos à Conakry

Dans la jungle pire encore
Car j'ai vu son visage

LE LANGAGE OUBLIE -2004



Pochette du CD « Le langage oublié ». Les paroles transcrites ci-dessous sont celles que chantent Manset, non pas celles (parfois erronées) qui sont reproduites dans le livret qui accompagne le CD.

Demain il fera nuit
Quand on perd un ami
Le coureur arrêté
A un jet de pierre
Mensonge aux foules
Le langage oublié
Que ne fus-tu
La fin du dernier monde connu
A quoi sert ?
Dans les jardins du XXIème siècle

On l’avait perdu de vue depuis 1998, mais pas d’oreille, signant dans l’intervalle des textes pour Juliette Gréco, Jane Birkin, et même Raphaël, son pénible collègue de label, ou Indochine, alors en quête de réhabilitation critique. Pour autant, nulle trace de changement langagier et thématique chez le presque sexagénaire, auteur de ce dix-septième album survenant en amont d’une actualité française tellement embouteillée qu’on craint l’effet de cannibalisation pour les principaux intéressés (Miossec, Manset, donc, et son fils spirituel Murat, à la seule lettre M de l’alphabet hexagonal).
Avec « Le langage oublié », Manset cultive son personnage de voyageur solitaire et misanthrope, pronostiquant un futur irréversible (« Demain il fera nuit »), arpentant la ville hostile (« Dans les jardins du XXIe Siècle »), ressassant sa tristesse infinie (« Quand on perd un ami ») ou son aquoibonisme légendaire (« À quoi sert ? »), tout en étirant ses chansons comme un jour sans pain (« Le coureur arrêté », « Le langage oublié »). « De même qu’on ne peut plus lire un bouquin de plus de trois pages, on ne pourra bientôt plus écouter un morceau de plus de deux minutes trente », regrettait-il récemment dans les colonnes de Libération.
Une déclaration qui trouve son écho dans le cinquième titre du disque aux accents reggae « Mensonge aux foules » : « Ce monde est celui de la dérision / On substitue le mal au bien / Sur les écrans la haine a le goût du pain / Les rejetés sont légion ». Hors des canons de la société du spectacle depuis 1968 et l’inaugural « Animal, on est mal », Manset reste encore et toujours une énigme. Sa voix marmoréenne, sa stature de commandeur, son catastrophisme clairvoyant (« La fin du dernier monde connu », splendide) et ses absences prolongées ne font qu’amplifier le plaisir incongru de ses retours aléatoires.

Franck Vergeade, Magic, n°79, avril 2004


S'il y a bien une chose que Gérard MANSET nous aura appris, c'est la patience : toutes ces années d'attente depuis son dernier album « Jadis et naguère », puis son « Best of » (comprenant l'inédit « Artificiers du décadent » et quelques versions remixées). Aujourd'hui enfin, nous sommes récompensés avec ce nouveau CD « Le langage oublié ». Il aura fallu à Manet trois années d'enregistrement dans trois studios différents, pour voir apparaître son 17e album, comprenant dix chansons.
C'est un beau cadeau, mais quelle frustration quand nous savons que Manset a suffisamment de titres dans ses tiroirs pour sortir au moins trois albums supplémentaires. Ces six années d'absence depuis « Jadis et naguère » ne signifient pas qu'il soit resté inactif. Au contraire, il a mené plusieurs projets (musicaux et autres), dont un album mis de côté, « Journées ensoleillées », accompagné d'un livre de 480 pages contenant des récits de voyages et des photos, à paraître chez Flammarion. De cet album enfoui, deux titres ont été intégrés dans « Le langage oublié » : « La Fin du dernier monde connu » et « Dans les jardins du XXIe siècle ».

La musique de Manset a la particularité d'être rassurante, de procurer un sentiment indescriptible, comme si le temps s'était arrêté. Les années passent, les styles musicaux se succèdent comme les saisons, sans pour autant altérer l'univers Manset. « Le langage oublié » continue là où « Orion » et « Revivre » s'étaient arrêtés. Nous naviguons à travers des pièces à la sonorité rock-prog, symphonique ou classique. Cette dualité entre modernisme et classicisme dans les arrangements est une tradition dans son oeuvre (« Demain il fera nuit », « Quand on perd un ami »… caractérisées par de somptueuses envolées de cordes (dirigées par Hervé Roy)…

« Le langage oublié » (faisant allusion au langage courtois) aborde les thèmes chers à Manset : la nostalgie du passé, «la chute d'un monde perdu», «la misère d'un monde malade»… Ce sentiment de perte («C’est ce que l'Humanité a perdu avec la Grèce antique") n'enlève cependant pas l'espoir de trouver un jour un Eden théorique. C'est le message de la très belle pochette reproduisant un tableau de Magritte (Mesdemoiselles de L'Isle Adam - 1942). Cette représentation d'un Eden idyllique se veut être apaisante et douce face à la gravité de cet album…

Cédrick Pesque


"On marche de travers comme un crabe, et la mer descend". Je ne sais pas si cette phrase éclaire la vie de Manset, mais je crois qu'elle éclaire son oeuvre. C'est pourquoi il n'est pas possible d'y trouver une logique. Pas de fil conducteur, peut-être des périodes, surtout des retours, des avancées, des arrêts, des essais, des variations, beaucoup de variations...

« Le langage oublié » apparaît comme un contrepoint à l'album précédent. C'est un patchwork de morceaux regroupant les divers styles de Manset, avec une avancée vers d'autres nouveaux (« Mensonges aux foules », « Que ne fus-tu »). Ici point d'unité, pas de véritable cohérence, hormis la fréquente nostalgie du passé, mais ce n'est plus l'objet du discours. Il me semble que l'enchaînement des morceaux a été très soigné. Celui de "langage oublié" juste derrière "mensonges..." est particulièrement grandiose.

Il a été longuement discuté ici de la verbosité de cet album. Je trouve qu'elle est indéniable, l'épure du génial « Vases bleues » peut paraître lointaine, oui... Mais comme d'autres l'ont souligné, cette verbosité n'est pas vraiment nouvelle. D'ailleurs, réfléchissez, quel autre album album de Manset est un patchwork verbeux ? Cherchez bien, cherchez loin, oui... l'album « 1968 ».

Ne vous y trompez pas, ne croyez pas Manset lui-même, le langage dont il parle n'est pas oublié, il l'a été, il ne l'est plus. Le seul fait de se rendre compte qu'il a été oublié est déjà une façon de le retrouver. Ce langage, Manset l'a longtemps rejeté, il osait même dire qu'il n'était pas « chanteur », tout juste ne rejetait-il pas qu'il était « auteur compositeur ». Car oui, ce langage oublié et retrouvé est celui de la chanson…

Cet album est comme un achèvement de la communion entre ses mots et ses sons. N'avez-vous pas remarqué comme le mariage des deux y est constant et d'une qualité extraordinaire ? J'ai toujours considéré que c'était la spécificité marquante du style Manset, et il la met ici en exergue. Certains considèrent chaque élément séparément. Ils pensent que pour les paroles il y a eu mieux et que la musique est altérée par la présence constante des paroles. C'est sûrement vrai, mais, comme considérer séparément le dessin et le texte d'une BD, cette dissociation n'a pas lieu d'être dans un album de chansons. Son écoute me fascine d'abord par la richesse du jeu continuel entre paroles et musique, d'autant plus qu'il y a la troisième dimension de la voix, celle toujours aussi belle de Manset...

Alain Beyrand, Le langage retrouvé, Message publié le 4 mars 2004, forum Manset Revivre


Demain il fera nuit

Demain il fera nuit
Je lui lu dans un livre
Et les enfants iront
De porte en porte
De ville en ville
Et les rats s’enfuiront
De porte en porte
De ville en ville

Demain il fera nuit
Et les enfants
Et les enfants iront
De porte en porte
De ville en ville
Et les rats s’enfuiront
De porte en porte
De ville en ville
Et toi que j’ai connue là-bas
Près d’un long bâtiment de bois
Aux yeux si noirs
Aux dents d’ivoire
Au sourire si fragile
Aux longs membres plus fins qu’un fil
Aux longs membres plus fins qu’un doigt
Aux doux sourire qui brûle
Aux lèvres
Aux doux sourire qui brûle
Aux lèvres qu’on boit
Comme une idole
Comme une icône
Une divinité
Des îles lointaines
Des îles

Comme une idole
Comme une icône
Une divinité
Des îles lointaines
Des îles

Demain, il fera nuit
Je l’ai lu dans un livre

Et peut-être qu’après
Alors un jour quand même
Il fera jour pour toujours
Et que ce soleil-là sera
Le feu d’un incendie
Au milieu défendu
Que les enfants iront
En demandant pourquoi
Prolonger un peu plus
Ce besoin de vivre
Ce besoin de vivre
Alors on leur dira de suivre
La ligne des maisons en feu
De se faire une raison
De se faire une raison

Demain il fera nuit
Je l’ai lu dans un livre
Et toi que j’ai connue là-bas
Au pied d’un bâtiment de bois
Aux yeux si noirs
Aux dents d’ivoire
Au sourire si fragile
Comme une icône
Comme une idole
Une divinité
Des îles lointaines
Des îles

Demain il fera nuit
Je l’ai lu dans un livre

Douleur lointaine
En rêve, en rêve
Réveille-toi
Dépêche-toi
Le volcan se soulève
En rêve, en rêve
Et crache tout ce qu’il a de feu
De lave qui coulera vers toi
De fièvres et de fièvres
Comme l’Etna
Comme l’Etna
A recouvert de cendres
A gelé dans la pierre
Le monde d’Alexandre
Et celui-là te recouvrira
De Surabaya
Va recouvrir ton univers
De plantes et de plantes
De bleus et de verts
De cendres et de cendres
De courbes et d’ellipses bientôt
Par l’apocalypse
Car demain il fera nuit
Je l’ai lu dans un livre
Mais toi
Aux longs membres plus fins qu’un doigt
Aux longs membres plus fins qu’un fil
Au doux sourire fragile
Au long baiser qui brûle
Aux lèvres
Au long baiser qui brûle
Aux lèvres

Quand on perd un ami

Quand on perd un ami
C’est peut-être qu’il dort
Dans un autre univers
De gel et de bois mort
Dans un autre décor
Simplement affaibli

Quand on perd un ami
Son âme se décolle
Comme un papier jauni
Papyrus d’école
C’est que l’on a grandi

Quand on perd un ami
Comme dans un tamis
Après que le cambiste
Ait déserté la salle
Ait déserté la salle

Dans le jour indolore
Et dans l’air inodore
Repose sur le pourpre
Entouré des siens
Et pas même un chien
Pour lécher sa paume
Son bras recourbé

Quand un ami s’en va
Disparaît de son lit
Par de nouveaux sherpas
Pour de nouveaux pays

Quand on perd un ami
De la lumière subsiste
Comme dans un tamis
Après que le cambiste
Ait déserté la salle

Peut-être ce n’est pas
Ce qu’on nous en a dit
Si là-bas il fait froid
Comme il le fait ici

Quand on perd un ami
Qui nous découvrira
Fakir embaumé
Transpercé de pointes
Et lorsque le jour pointe
Pas même un drap
Pour cacher ses yeux
Quand un ami s’en va

Quand on perd un ami
De la lumière subsiste
Comme dans un tamis

Le coureur arrêté

Salle des pas perdus
Salle des pas trouvés
Et des mégots déchus
Aux anges révoltés
Sur des banquettes creuses
Aux siéges arrachés
Dans une gare obscure
Cathédrale rieuse

Cathédrale rieuse
Comme une fleur exquise
Sur sa tige dressée
Dans l’urine des chiens
Lorsque les papiers volent
Que le marcheur se souvient
Qu’il a souvent marché
Et qu’il ne marche plus
Et le voilà courbé

C’est un musée de cire
Où s’ébranlent les trains
On dit que ce coeur bat
Que ce poumon respire
Mais
Quand se grattent les fées
Et se mouchent les princes
Dans l’avenant zéphyr
Qui vient par les travées
De ce nouvel empire
Ouvert la nuit, le jour
Sous les lampes amies
Et le marbre toujours

Lorsque le coureur tombe
Il est midi peut-être
Et la foule des quais
Grimace sous la pluie
Sans lui parler jamais
Sans le panser non plus
Quand sa nuque craquait
Comme une lame bleue
Comme un pot de miel
Qui le pénétrerait

On dit
On dit que ce cœur bat
Que ce poumon respire
Mais ce qu’on ne dit pas
C’est pour combien de peu

Alors il se rhabille
Ou bien on le ramasse
Dans ce musée de cire
Un visage prend place
Qui fut lui autrefois
Se penche et puis l’embrasse
Mais comme on ne meurt pas
Dans la continuité
D’éternelles caresses
Le coureur se dilue
Et puis bientôt se dresse
Tandis que tout s’éteint
Tandis que tout s’éteint

Salle des pas perdus
Salle des pas trouvés
Et des mégots déchus
Aux anges révoltés
Sur des banquettes creuses
Aux sièges arrachés
A demi renversés
Dans une gare obscure

Cathédrale rieuse
Comme une fleur exquise
Sur sa tige dressée
Dans l’urine des chiens
Lorsque les papiers volent
Le marcheur se souvient
Qu’il a souvent marché
Et qu’il ne marche plus
Et le voilà courbé
Dans l’immobilité

C’est un musée de rire
Où s’ébranlent les trains
On dit que ce coeur bat

Lorsque le coureur dort
Dans son geste arrêté
Il est midi dehors
Il est midi toujours
On dit que c’est la ville
Et le balayeur passe
Qui va de place en place
Jaune phosphorescent
Dans la graisse et le sang
Dans l’essence et la crasse
La poussière et le vent
Et le balayeur passe
Jaune phosphorescent

Et le balayeur passe
On dit que c’est la ville
Et ses bennes bruyantes
Et le balayeur chante

Et le balayeur passe
Qui va de place en place
Jaune phosphorescent
Dans l’essence et la crasse
La poussière et le sang
Et le balayeur passe
Jaune phosphorescent

Et le balayeur passe
On dit que c’est la ville
Et ses bennes bruyantes
Et le balayeur chante


A un jet de pierre

À un jet de pierre
Le bonheur est passé
Se tenant les paupières
Comme un grand blessé
Qui craindrait la lumière
De ses vies passées
Ses campagnes guerrières
Dans une eau glacée
Où le sage se trempe
Comme une épée trempée
Car qui de nous jamais
Ne s’est trompé

À un jet de pierre
Le bonheur est passé
Dans son habit de nuit
De velours damassé
Aux clochettes d’argent
De liserons, de lierre
Dont chacune est le sang
Dont chacune est la chair
De ceux qu’il a bénis
Protégés de tout
Car qui de nous ne fut
Jamais à sa merci
Jamais à sa merci
Sa merci
Fut à sa merci

À un jet de pierre
Le bonheur est passé
S’est penché vers le sol
Vers la terre tassée
A planté une fleur
Comme un girasol
De sa main sans couleur
De sa main gantée
Voilà comme il se donne
Voilà comme il aime
Mais qui de nous jamais
N’a fait de même

À un jet de pierre
Le bonheur est passé
Nul ne l’a suivi
Ni n’a ramassé
Ce qu’il avait écrit
Ce qu’il avait laissé
Quelque chose de gris
Deux lettres enlacées
Comme deux initiales
Peut-être d’une autre
Probablement peut-être
Un peu les nôtres
Un peu les nôtres
Les nôtres
Les nôtres

Dans un coin du bar
Le bonheur est assis
Sorte de vieillard
Comme n’importe qui
Qui ne dit pas merci
Pour tout ce qu’il a bu
Tout qu’il a pris
Et qu’il n’a pas rendu
Dans le jour qui se lève
Dans la nuit qui fut
Qui de nous jamais
Heureux ne fut
Heureux ne fut
Jamais heureux ne fut
Jamais heureux ne fut

Heureux ne fut
Jamais heureux ne fut
Jamais heureux

Mensonges aux foules

Aimés, aimés
Aimés, aimés

Ce monde est celui de la dérision
On substitue le mal au bien
Sur les écrans la haine a le goût du pain
Les rejetés sont légions

Et plutôt que de chercher l’absolution
Dans l’amour, l’évangile, la compassion
On préfère laisser le sol en friches
Dirigeants qui pillent, dirigeants qui trichent

Mensonge aux foules assagies
Sur l’assiette au beurre le temps s’enfuit
Comme brûle la flamme d’une bougie
Mensonge aux foules, démagogie

On voudrait refaire le monde
On voudrait la puissance d’une bombe
Que tous ceux qui nous parlent de lendemains
Se méfient de nos rires assassins

Mensonge aux foules assagies
Dans une gigantesque hémorragie
Dans laquelle plus personne ne réagit
Bel opium du peuple devenu simple tabagie

Quand nous aurons tout pris, tout vaincu
Que les poètes entre tous seront connus
Et l’homme libre enfin de tout chantage
Découvrant l’amour comme le seul visage

Alors nous serons tristes et peut-être inquiets
De ce que nous redoutions en secret
Que différents de nos aînés, nous ne sommes pas
Et nous dirons peut-être pourquoi pas

Mensonge aux foules assagies
Puisque c’est de trahison qu’il s’agit
Nous serons tous alors peut-être, par magie
Aimés, aimés
Aimés, aimés
Aimés, aimés

Le langage oublié

Un jour le soleil passe
Le soleil est passé
Et puis l’ombre s’installe
Grandit de tous côtés
Rose
Dont les pétales
Ont jailli un matin
Ont jailli un été
Se souviennent et se taisent
Et gardent ce venin
En eux, profondément

Qui saurait lire encore cette langue oubliée
Dont l’encre même a l’air d’avoir fondu
D’avoir rongé le centre du cahier
Qu’elle avait laissé là un jour lointain

Il s’est levé ce malade inconnu
Et le voilà parti par son chemin
Sans avoir ni touché à rien, ni même bu
Il s’est levé sans avoir répondu

Ce langage oublié quelqu’un le saurait-il
Qui rendait parait-il heureux le genre humain
Aujourd’hui c’est hier, hier c’était demain
Il suffit de s’asseoir et de guetter
Il suffit de s’asseoir

Qui parle encore cette langue oubliée
Par laquelle nous nous étions connus
Dont il ne reste, en partie dépecés
Qu’un songe, qu’une illusion, qu’un rêve

Le malade se tait, ne répond pas
De sa bouche aujourd’hui toute édentée
A-t-elle connu quelques jolis baisers
Comme une eau pure, comme une coupe fraîche
Comme un murmure

Qui parle encore ce langage inconnu
Par lequel nous nous étions trouvés
Et découverts ensemble
Comme une eau pure, comme une coupe fraîche,
Comme un murmure

Aujourd’hui c’est hier, hier c’était demain
L’homme et la femme allaient main dans la main
Le malade se tait, ne répond pas
L’homme et la femme allaient
Au même pas
Au même pas

Qui parle encore cette langue finie
Ni ailleurs ni là-bas, pas plus ici
Pas plus vers les confins que tout en bas
Ni langage ni rien, pas plus de forme
Etait-il de Sumer ou bien cunéiforme
Ce langage
Ce langage

Qui dit qu’un coeur dans un vase fermé
Comme une fleur pourra se ressaisir
Avec un peu de pluie ou d’eau, ou de plaisir
Avec un peu de temps, d’éternité

Ce langage oublié quelqu’un le saurait-il
Aujourd’hui c’est hier, hier c’était demain
L’homme et la femme allaient
L’homme et la femme allaient par le même chemin
Où nous seront nous-même
Un jour
De nouveau

Que ne fus-tu

Que ne fus-tu une autre mère
Que ne fus-tu un songe
Que ne fus-tu une autre mère
Que ne fus-tu un songe
Dans ce passé amer
Où mes racines plongent

Que ne fus-tu une autre mère
Que ne fus-tu un songe
Près de cette rivière où je m’allonge

Que ne fus-tu une autre
Une autre, une autre
Que ne fus-tu
Car tout commence
En ce temps sans défense
Que ne fus-tu,
Que ne fus-tu
Que ne fus-tu

Les coups l’hiver la faim,
Mais non rien de cela ne fut
Rien de cela
On te méprise et l’on te craint
Attend, ou bien recommence
Au lien de ça tout fut doré
Comme une miche au four
Comme un pain du matin
Et décoré
De frise, de sucre glace autour
De petits napperons brodés
Mais que ne fus-tu une autre
Front bas et front têtu

Que ne fus-tu une autre mère
Que ne fus-tu un songe
Dans ce passé amer
Où mes racines plongent

Que ne fus-tu une autre mère
Que ne fut-tu un songe
Près de cette rivière où je m’allonge

Au bord du pré l’agneau qui parlerait
Ou bien retournerait à l’ombre
Enfiler ses habits
Redevenu silencieux
De ce pré aujourd’hui déteint

La fin du dernier monde connu

On voit la fin du dernier monde connu
La fin du dernier monde qu’on eut
La fin du dernier monde possible
L’honnête homme devient la cible
Le bandit s’en va satisfait
Et nul ne sait ce qu’il a fait
On voit la fin du dernier monde visible
La fin du dernier monde humain
La fin de ce qui fut paisible
La fin du dernier monde latin

Famille amie sur qui je pleure
Avec mes yeux d’enfant nourri
Qui a vu rivières et pays
Aimons-nous, ma mie, s’il est temps
Tandis que du bord de l’étang
On voit la fin
On voit la fin des derniers temps
Tandis que du bord de l’étang
On voit la fin des derniers
On voit la fin des derniers temps

Ce monde on le portait
Ce monde on le portait en nous
Et le voilà qui se défait
Et le voilà qui se dénoue
Revenu de tous les courroux
De toutes les guerres, de tous les coups
De tous les marbres et les satins
Aimons-nous, ma mie, ce matin
Par delà le miroir
Par delà le miroir

On voit la fin du dernier monde aimé
On en serait presque étonné
Dans la mêlée le bruit des larmes
La cacophonie, le vacarme

Aimons-nous, ma mie
Aimons-nous, ma mie, s’il est temps
Tandis que du bord de l’étang
On voit la fin des derniers
On voit la fin des derniers temps
Tandis que du bord de l’étang
On voit la fin des derniers
On voit la fin des derniers temps

On voit la fin du dernier monde connu
La fin du dernier monde qu’on eut
La fin du dernier monde possible
La fin du dernier monde vivant
La fin du dernier monde d’avant
A quoi sert?

À quoi sert de pleurer
Sur ce qui n’est plus
Sandales dorées
Lèvres qui se sont tues
A quoi sert de pleurer
Sur ce qui n’est plus
Boucles adorées
Sucre fondu
A quoi sert de pleurer
Sur ce qui n’est plus
Fontaines asséchées
Falaises redevenues

Toi, le tout petit enfant qui voit dans la maison
Passer les poussières, danser sans en chercher la raison
Qu’ils étaient beaux les meubles toujours blonds

À quoi sert de courir
Sur ce qui s’est enfui
Dans le fond de la mer
Tout au bout de la nuit
A quoi sert de courir
Sur ce qui n’est plus
Une gorge un rire
Qu’il aurait fallu
Attacher, ou pire
Noyer dans de la glu
Une forme de cire

Toi le tout petit enfant qui voit dans la maison
Passer les poussières, danser sans en chercher la raison
Qu’ils étaient beaux les meubles toujours blonds
Dans le vestibule
L’immense pendule
Dans ce salon

A quoi sert de courir
Sur ce qui n’est plus
Qui ne vit ni ne respire
Qui ne chante plus
A quoi sert de courir
Sur ce qui n’est plus
Le reste peut venir
Le reste peut venir

Dans les jardins du XXIème siècle

Dans les jardins de XXIème siècle
Où les enfants clonés jouent sous les arbres
Le chagrin, la gaieté, ont la couleur du marbre
Et rien n’est plus de ce qui fut aimé
Et rien n’est plus de ce qui fut aimé
Souvenez-vous de ces longues gorgées
De cette eau pure le ciel était gorgé

Dans les jardins du XXIème siècle
Où les enfants clonés jouent en rêvant
A ce que furent la chair, les larmes et le sang
Quand rien n’est plus ce qu’il était avant
Quand rien n’est plus ce qu’il était avant

Souvenez-vous de ces chansons anciennes
Ne reste plus que le filet de vent
Qui fait tourner là-bas les éoliennes
Dont les longs doigts s’étendent sur la plaine
Souviens-toi que je t’aime
Rappelle-toi les mots
Je sais qu’il faut se détourner de toute chose humaine

Dans ce jardin maudit
Où les enfants mauvais jouent sous les branches
Souvenez-vous que la folie les guette
Dans ces massifs aux lustres éclatants

En ce jardin maudit du XXIème siècle
Où les enfants mauvais jouent sous les branches
A quelques faux moineaux jetant de fausses miettes
Cependant qu’on leur dit que c’est dimanche
Cependant qu’on leur dit que c’est dimanche

Souvenez-vous que la folie les guette
Dans ces massifs aux lustres éclatants
Dans ces jardins et leurs gazons mutants
Et nous peut-être un jour, les imitant
Les imitant

Souvenez-vous que la folie les guette
Dans ces massifs aux lustres éclatants
Dans ces jardins et leurs gazons mutants
Et nous peut-être un jour, les imitant
Les imitant
Les imitant